Les équipes qui ont concouru au programme SIFE Tunisie 2012 nous ont fait découvrir l’alter «Doing business». Les recettes sont basiques mais le concept est tout d’ingéniosité. Un vent de “SIFE mania“ est en train de lever. C’est tant mieux! Le moment est opportun et l’occasion propice.
Deux jours durant, on les a vus concourir pour présenter les projets qu’ils ont initiés sur terrain. Ils ont tout pour eux. La jeunesse et la fureur de l’engagement citoyen. Ils étaient irrésistibles d’ingéniosité. Mais également de générosité et de solidarité. Des étudiants convertis en pédagogues du business. C’est un tour de force. Ils ont transgressé les obstacles de l’employabilité. Comment schématiser leur apport?
Baptême du feu: le «leadership» sur terrain
L’idée en soi est une véritable pirouette. Quelqu’un y a pensé. Il a mis ça en pratique. Demander aux étudiants de mettre en pratique ce qu’on leur a enseigné. C’est dire les amener à faire de la pédagogie d’affaires. Il faut, ni plus ni moins mettre en pratique ce qu’on leur a toujours appris. C’était en somme une invitation au baptême du feu. Au concret, c’est le test de vérité pour leur employabilité. Le hic, dans tout cela est que les «apprenants» sont des gens de la vraie vie et qui ne s’en laissent pas conter. Les prendre en mains et les driver dans les dédales de l’économie urbaine ou dans le tissu économique des villes, enfin les insérer à la chaîne de création de valeur est un tour de force.
Le concept a connu toutes les recettes d’implémentation aux contextes nationaux divers et variés. Force est de constater que le concept a diffusé sur les cinq continents. Il y a trois ans, Khaoula Boussemma, en véritable missionnaire casse-cou, a accepté de parrainer le projet en le logeant chez le CJD. Autant le dire, en toute sincérité. Elle n’avait pas les faveurs des pronostics. A l’époque, la conspiration était à son plein, on ne parlait pas de l’exclusion. C’était la face cachée du modèle économique de l’époque qui a fini par imploser, un certain 14 janvier 2011.
Aujourd’hui, jouer l’insertion c’est tout simplement se mettre dans l’air du temps. SIFE est tout à fait en intelligence avec le contexte actuel. Remplira-t-il sa mission? L’objectif de SIFE peut tenir en peu de mots. C’est une recette pour l’émancipation des mal-nantis. Ceux qui vivotent, ou survivent, des sans espoir qui s’éreintent à garder la tête hors de l’eau. Les faire revenir dans la partie est un véritable exercice de leadership. Mener des troupes au combat, à l’assaut du marché, qui les a ignorés ou tout simplement tourné le dos, ce n’est pas une mince affaire. Comment les SIFE boys se débrouillent-ils?
Le triple filtre de la réussite
La méthodologie. D’abord et avant tout. Le projet n’a pas pour finalité de réinventer le monde. Mais de le rendre plus accessible. Il s’agit de dire non à l’exclusion. Ceux qui vivaient en marge doivent trouver le sésame qui va leur ouvrir l’accès à une insertion dans les circuits productifs et marchands.
Dans les projections qui accompagnent les présentations des projets, les équipes de SIFE ont filmé les candidats qu’ils ont eu à piloter. On voit des potiers de l’arrière-pays de Nabeul, des vanniers de la région d’Aïn Draham, des Tunisiens comme vous et moi. La différence est que la vie n’a pas été clémente avec eux. Leur point commun avec M. Jourdain est qu’ils faisaient de l’économie sans le savoir. Alors, on les a pris par la main pour les convaincre à l’idée de s’organiser avec un esprit d’entreprise. La chaîne est vite bouclée: avec leur travail quotidien, monotone, si peu rémunérateur, ils vont aller vers du business, rien de moins. Et c’est tout le talent dont font preuve les équipes sur terrain. Apprendre à des producteurs d’aller à la recherche des clients en éditant un catalogue, en créant une page sur Facebook! Oui, vous avez bien lu, Facebook. Et de mettre tout le reste en place. Calculer un prix de revient, aller dans les foires et salons, dialoguer avec les fournisseurs.
Chaque projet est en soi une création, dans tous les sens du terme. Tous les critères du business sont respectés. Mais il y en a trois que les équipes s’engagent à satisfaire.
Le premier est d’ordre économique. Après le travail des équipes, le projet doit générer un salaire régulier à toutes les parties prenantes. On a vu des producteurs voir leur revenu passer de 100 dinars par mois à 20 dinars par jour.
Le deuxième critère est social. Le producteur se met en dynamique d’emploi permanent. Qu’il soit intermittent, occasionnel, ou parfois chômeur, en certaines circonstances handicapés, le bénéficiaire possède, grâce au projet, d’un emploi permanent.
Le troisième et non des moindres est le critère environnemental. Toutes les productions respectent des critères environnementaux stricts. On a vu des tanneurs aller vers les colorants végétaux.
Le triple filtre des critères d’évaluation nous fait penser au triple filtre de Socrate qui veut que chaque idée, pour être bonne, doit être vraie, utile et profitable à autrui. Outre ce tamisage, les projets SIFE répondent aussi au critère des Indices de Développement Humains institués par l’ONU.
Penser à la labellisation
Les SIFE boys agissent tous terrains. On les a vus à l’œuvre dans les villes et dans le monde rural. Quel que soit le contexte où ils interviennent, ils obtiennent toujours des résultats remarquables. Ils font œuvre de coaching car ils s’adressent d’abord au mental des gens. Ils améliorent sensiblement les produits des opérateurs qu’ils encadrent. On leur souffle l’idée d’aller vers la labellisation. Ils donneraient davantage de lisibilité aux produits outre qu’ils peuvent améliorer sensiblement les prix et les marges. En insérant les gens laissés en marge de la société, ils luttent contre cette forme d’injustice qu’est l’exclusion.
Etendre SIFE à toutes les universités de Tunisie semble couler de source. Demain, on n’aura plus le désagrément de voir des diplômés du supérieur rester sur la touche du circuit économique. Aussi modeste que sera leur contribution elle aura eu le mérite de les initier à la vie pratique. Dans tous les projets SIFE, on a vu les encadreurs opérer à la manière de Mac Gyver, c’est-à-dire sans apports extérieurs et sans banquier! Les bienheureux. Leurs recettes sont simples: l’huile de coude des candidats et leur jus de cervelle à eux. La formule est magique. Etant donné qu’ils génèrent des contribuables, l’Etat peut bien les faire bénéficier de sa générosité. Why not!