Â
En prenant, dimanche 8 juillet 2012, l’engagement d’élargir aux juifs ultra-orthodoxes et aux Arabes israéliens le service militaire, le gouvernement israélien use d’un machiavélisme sans faille. Cette décision imposée par la rue et la Cour suprême pourrait servir Israël. Au moins à trois niveaux. Voici pourquoi.
Cela pourrait constituer un événement politique à même de transformer l’Etat d’Israël. L’engagement pris par le gouvernement de Benyamin Netanyahou d’élargir aux juifs ultra-orthodoxes et aux Arabes israéliens le service militaire pourrait avoir, si l’on en croit nombre de commentateurs, une très grande conséquence sur le vécu des Arabes israéliens qui constituent –empressons-nous de l’indiquer- près de 20% des citoyens de l’Etat hébreux (environ 1,3 million).
Prise, dimanche 8 juillet 2012, et annoncée à l’ouverture de la réunion du cabinet de droite présidé par l’Ashkénaze (juif originaire d’Europe) Netanyahou, dont le parti Likoud s’est imposé dans le paysage politique grâce à l’intégration des juifs Sépharades (Orientaux) –Menahem Begin a gagné les élections de 1977 en jouant la carte des Sépharades qui constituent une force électorale-, cette décision est en fait d’un machiavélisme certain.
Certes, elle a été prise sous la pression de la rue. Quelque 20.000 Israéliens ont manifesté la veille (le samedi 7 juillet) pour réclamer la fin des exceptions pour le service militaire en brandissant des pancartes et des banderoles ou en vociférant le slogan: «Un peuple = une conscription». Long de 3 ans pour les hommes et de 2 ans pour les femmes, âgés de 18 ans, le service militaire exempte les ultra-orthodoxes, suivant des enseignements dans des Yechivas (des écoles religieuses) au nombre de 50.000 chaque année, et les Arabes pour un tout autre motif: la préservation des intérêts de l’Etat d’Israël. En clair, une grande majorité des Arabes Israéliens, appelés également Palestiniens d’Israël ou encore Arabes de 48, sont soupçonnés de sympathie pour leurs frères arabes qui ont, contrairement à eux, fui dans les pays arabes environnants ou en Cisjordanie à la création de l’Etat hébreu en 1948. La décision d’exempter et les ultra-orthodoxes et les Arabes a été prise dès les premières années qui ont suivi la spoliation des terres de Palestine. Il s’agit de la fameuse loi «Tal».
Avigdor Lieberman favorable
Mais, l’engagement de Netanyahou de revenir –on l’aura compris- sur un des actes fondateurs de l’Etat d’Israël, est en fait une obligation: la Cour suprême a jugé inconstitutionnelle cette loi et a demandé, donc, de l’annuler en fixant une date: le 1er août 2012.
Il est à remarquer que parmi ceux qui ont appelé à annuler cette loi figure le patron d’« Israël Beteïnou», Avigdor Lieberman, qui n’est autre que l’actuel ministre des Affaires étrangères, un ennemi juré des Palestinien et un défenseur du caractère juif de l’Etat. Ce qui montre déjà pourquoi Israël pourrait beaucoup gagner de l’élargissement du service militaire aux Arabes israéliens. Et ce, au moins à trois niveaux.
Premier niveau? En prenant l’engament d’appliquer une décision de la Cour suprême, Israël offre une occasion supplémentaire de renvoyer l’image d’une démocratie respectueuse des lois et des institutions. Gageons que l’Etat hébreu, qui n’avance jamais sans avoir au préalable mis en place un plan de communication, jouera, à ce niveau, avec ce fameux disque, rouillé du reste de «la seule démocratie dans la région». En suggérant un clin d’œil en direction d’une Egypte voisine, qui se débat dans la démocratie: les Frères musulmans, arrivés au pouvoir par les urnes, entendent réhabiliter le Parlement contre la volonté de la Cour suprême qui a annulé son élection. «Décidément, ces Arabes ne sont pas faits pour la démocratie; quant à nous…», disait l’ex-Premier ministre israélien Golda Meir (Premier ministre de 1969-1974).
Avec l’élargissement du service militaire aux Arabes israéliens, l’Etat hébreu pourrait, pour ainsi dire, faire sauter, aux yeux de la communauté internationale, le dernier «verrou» (l’expression de l’auteur d’une tribune publiée lundi 9 juillet 2012 dans le quotidien israélien Yedioth Ahronoth) d’une discrimination –du fait réelle- à l’égard de ses citoyens arabes.
Restons ici sur le terrain de la communication pour préciser que l’engagement de Netanyahou va lui permettre de ne plus prêter le flanc à la critique internationale qui a toujours mis en exergue cette discrimination. L’Etat hébreu a toujours défendu l’idée qu’en dehors du service militaire, il n’existait aucun domaine «discriminatoire»; les Arabes étant égaux en droit «au même titre» que leurs concitoyens juifs.
39 %, contre 57% pour le reste de la population
Ce qui est un argument qui tient peut-être la route au niveau des textes, mais qui est un argument en trompe-l’œil largement contredits par les faits. Des organisations de Droits de l’Homme ont établi des statistiques qui en disent long sur leur statut de citoyens de deuxième rang des Arabes en Israël: le pourcentage des personnes actives parmi les Arabes israéliens est évalué à 39%, contre 57% pour le reste de la population, les Arabes gagnent en moyenne 69% de ce que gagnent les juifs israéliens, et ils sont en majorité installés dans des bantoustans (quelque 116 localités situées au nord d’Israël): 24% seulement d’entre eux vivent dans des villes à majorité juive (Source : L’encyclopédie Wikipedia).
Israël défendait, par ailleurs, l’argument selon lequel si l’exemption des Arabes était la règle, elle n’était pas l’exemption: tous les non-juifs qui voulaient servir dans l’armée pouvaient le faire. Les Druzes (120.000) servent dans Tsahal (nom donné à l’armée israélienne) dans laquelle ils sont enrôlés dans des unités d’élite comme les garde-frontières. Idem pour quelques bédouins de la région de Beer-Shev’a (sud de la Palestine occupée) à qui on fait jouer le rôle d’éclaireur.
Troisième et dernier niveau, les Israéliens qui savent que la décision ne pouvait à long terme que s’imposer à eux, ont peut-être là l’occasion –et contrairement aux apparences- de «mater» leurs Arabes. Avec l’éclatement de ce dernier «verrou», les Arabes n’auront plus de réel argument pour crier les discriminations qui les frappe. Ils auront là l’occasion de montrer, comme se doit de le faire chaque citoyen de n’importe quel Etat, leur attachement et fidélité au pays dont ils ont la nationalité. Et gare aux brebis galeuses, la loi sera là pour les remettre sur le bon chemin.
Et quelle belle occasion pour faire avaler à la communauté internationale de nouvelles couleuvres. En imposant la «judaïté» de l’Etat hébreu, en procédant à des conquêtes territoriales, en votant des lois scélérates contraires aux intérêts de leurs voisins arabes et en spoliant de ce qui reste des droits des Cisjordaniens: les Arabes israéliens peuvent manifester leur colère, à commencer au sein de la Knesset (Parlement) où ils ont des députés, ils doivent se plier à la majorité. N’est-ce pas là une règle fondamentale du jeu démocratique?
Et n’allez pas me dire que les 20% d’Arabes israéliens vont tous refuser de servir ou encore de respecter les devoirs qui incombent à tout conscrit. Les initiatives seront, toute vraisemblance, individuelle et non collective. D’autant plus qu’il serait faux de dire que les Arabes israéliens, du moins une partie d’entre eux, souhaiteraient en découdre avec les juifs. Des études réalisées en Israël montrent que nombre d’entre eux souhaitent ni plus ni moins avoir un statut égal à celui de leurs concitoyens juifs. Certains sont intégrés (ils constituent une vitrine pour l’Etat juif) et votent même pour des partis de droite comme le Likoud de Benyamin Netanyahou. Des «indiscrétions» faites par des négociateurs américains font état du fait qu’ils n’apprécieraient pas, en cas de solution au conflit israélo-palestinien, un échange de territoire qui feraient d’eux des citoyens du futur Etat palestinien. S’agit-il d’une intox?
Vider la loi de son sens
Quoi qu’il en soit, et comme le dit l’expression: il ne faut pas aller vite en besogne. Il est à demander en effet quelle forme donnera Israël à l’arrêt de la Cour suprême annulant la loi «Tal». Expert en manipulation, l’Etat hébreu pourrait vider la nouvelle loi sur la non-exemption des Arabes du service militaire de son sens. On pourrait éloigner les Arabes israéliens des secteurs névralgiques comme l’armée de l’air et les renseignements et les charger, par exemple, de couper les pommes de terre ou des autres tâches bien subalternes et secondaires.
Là aussi, les textes seront, en matière du vécu quotidien des Arabes israéliens, bien en deçà de la pratique!