L’ambiance survoltée jeudi 12 juillet 2012 au palais des expositions du Kram, qui a accueilli les participants au 9ème congrès du Mouvement Ennahdha, le premier après la chute du régime de Ben Ali. Ce congrès, qui se poursuit jusqu’au 15 juillet 2012, a adressé plein de messages en direction de la communauté politique en Tunisie. Une démonstration de force par laquelle Ennahdha a voulu montrer son poids politique mais aussi social.
Dans la grande salle centrale du palais des expositions du Kram, des milliers des partisans du parti ont assisté à l’ouverture du congrès, drapeaux et cache-colle –arborant le logo du parti- à l’appui. Les invités étrangers étaient aussi assez nombreux. A ne citer que Khaled Mechâal, secrétaire général du mouvement Hamas, dont un siège lui a été réservé entre Rached Ghannouchi et Hamadi Jebali, et un accueil bien plus chaleureux que celui consacré à ces deux derniers. D’ailleurs, on a interrompu la récitation d’une sourate du Coran pour l’accueillir. Le mouvement Fatah est représenté par un membre de la commission centrale.
Des personnalités…
On note aussi la présence du vice-président soudanais, Nafaâ Ali Nafaâ. Les partis islamistes maghrébins sont présents en force, à savoir le Parti de la justice et du développement (PJD Maroc), le Front du changement et le Front de Libération Algérien et le Parti de la liberté et de la justice égyptien.
D’autres personnalités sont également venues du Moyen-Orient, de Syrie, de Jordanie, d’Iraq, d’Arabie Saoudite, du Qatar, du Koweït, des Emirats Arabes Unis, du Sultanat d’Oman, du Bahreïn, du Yémen, du Liban (représenté par le Hezbollah), d’Iran et de la Turquie. L’Occident -comme on aime à l’appeler assez souvent– est représenté par des personnalités du Parlement européen, la France, l’Espagne, les Etats-Unis d’Amérique et le Canada.
Côté tunisien, presque tous les membres du gouvernement ont assisté à la séance d’ouverture. Mustapha Ben Jaâfar, président de la Constituante, était bien évidemment présent, à côté de Hamadi Jebali. De même, le Congrès Pour la République (CPR) était représenté par son porte-parole, Hédi Ben Abbas. Les autres partis d’opposition brillaient par leur absence. On note aussi la présence de personnalités historiques telles qu’Ahmed Mestiri, Ahmed Ben Salah et Mustapha Filali. Abdelfateh Mourou est venu, bien qu’il se soit montré distant; et ce malgré l’accueil chaleureux que lui a réservé Rached Ghannouchi. Ce qui marque vraisemblablement un retour de Mourou à Ennahdha. Un pas qui peut atténuer les divisions au sein du mouvement.
Volonté politique…
La tendance était plutôt à la modération, dans les discours des leaders d’Ennahdha. Ghannouchi appelait au consensus national, affirmant que le 9ème congrès du parti est un congrès de l’union. «Ce congrès soutient la révolution. C’est notre premier en public. Nous n’aurions pas pu l’organiser ainsi, si les Tunisiens ne s’étaient pas révoltés», reconnaît-il. Le président d’Ennahdha appelle, ainsi, à un consensus national et à une réconciliation nationale «sur une base solide», insiste-t-il. «Nous voulons rassurer les Tunisiens que malgré toutes les difficultés et les problèmes conjoncturels, le pays est entre de bonnes mains!»
Il a également appelé à honorer les martyrs du mouvement yousséfiste et ceux de l’Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT) pour évoquer, enfin, les martyrs du mouvement Ennahdha, en faisant allusion aux souffrances qu’ils ont endurées, durant l’ancien régime, par les destouriens. Une remarque qui ne pourrait pas passez inaperçu pour certains sur la scène politique actuelle.
De son côté, Hamadi Jebali a opté plutôt pour un discours officiel, reflétant sa position de Premier ministre et non pas de secrétaire général d’Ennahdha. Un amalgame bien révélateur. Il a indiqué que l’Etat est encore faible, et qu’il a besoin d’une volonté politique solide. Il a affirmé qu’un ensemble de choix politiques se présentent à la Tunisie. «Il est important de faire face à la contre-révolution qui se prépare actuellement sur le terrain. On a besoin également de transférer la révolution aux administrations et institutions par une réforme des compétences administratives», précise-t-il. Cette contre-révolution qu’il estime menée par quelques caciques de l’ancien régime, qui sont en train de rassembler leurs forces pour s’imposer sur la scène politique tunisienne.
M. Jebali souligne qu’il faut développer l’expérience de la coalition comme choix stratégique pour la Tunisie. Il s’agit aussi de consacrer le principe de la justice transitionnelle par une loi d’amnistie générale, par principe d’équité aux victimes de la répression de l’ancien régime. Dans l’immédiat, l’important est qu’Ennahdha puisse avoir de bons résultats, selon le responsable du parti, lui préservant sa place dans le paysage politique tunisien. «Nous devons travailler à consacrer le consensus politique entre les différents partenaires. Nous devrions être une force de poids qui pourra attirer toutes les catégories de la société, même les hommes d’affaires, les hommes de la culture et les artistes», déclare-t-il.
Ben Jaâfar le royaliste…
Mais bien que les discours de MM. Ghannouchi et Jebali soient assez modérés, pleins de messages, et collant avec leurs positions au sein du parti, Mustapha Ben Jaâfar, président d’Ettakatol, s’est montré plus royaliste que le roi. Son discours reflétait une position disproportionnée en se mettant au côté d’Ennahdha. Certains diront que ceci est évident, étant que c’est son allié principal.
Mais on aurait espéré que Ben Jaâfar soit plus modéré dans son traitement des interactions politiques. Il a vanté largement le slogan du parti Ennahdha «Notre avenir est entre nos mains», estimant qu’il faut conduire la Tunisie vers l’Etat de droit et de l’islam des lumières. Le pays doit œuvrer, selon lui, à construire un Etat civique et un régime républicain, bien que les bruits de couloir au sein d’Ennahdha parlent actuellement de l’orientation vers un régime parlementaire.
«Ettakatol a refusé la polarisation bilatérale et pousse notre société dans des divisions interminables. Nous aurions aimé que la coalition soit plus élargie, mais ce n’était pas le cas. Notre coalition tripartite reste, malgré tout, ouverte à tous», lance-t-il. Il est clair que cette remarque vise bien évidemment l’opposition. La clôture de son discours était encore plus spectaculaire appelant à la libération de la Palestine, accompagné par les hués des partisans d’Ennahdha.
La surprise du discours de Khaled Mechâal
L’introduction de Khaled Mechâal était la plus mobilisatrice. Ce leader du mouvement Hamas n’a pas manqué de provoquer l’admiration des partisans d’Ennahdha. Un discours qu’il a voulu cohérent et conséquent, bien plus conséquent que ceux qui l’ont précédé.
Mechâal a appelé à la conservation de la Troïka. «Il n’y a ni un gagnant ni un perdant mais plutôt un consensus. La construction d’un pays se fait par l’effort de tous. La majorité obtenue lors des élections n’est pas suffisante. Il ne faut pas aussi limiter les effets de la révolution au territoire national, mais les exploiter pour booster davantage la construction de l’unité arabe», souhaite-t-il.
Toutefois, le leader palestinien a souligné que la légitimité politique provient de l’intérieur des pays arabes révolutionnaires et non selon les critères des pays occidentaux. «Ce sont eux qui ont réellement besoin de nous et non pas l’inverse», ajoute-t-il. Il a profité également de cette occasion pour faire appel à l’élaboration d’une stratégie arabe pour la libération de la Palestine.