«Mostakbalna» (Notre avenir), c’est le nom qu’a choisi Maher Haffani, pédiatre de renom, pour une association qui vise à mettre en place des garderies en milieux professionnels. Le but est d’aider les employés qui sont des parents et qui ont besoin d’un service de garderie à assurer au sein de leurs entreprises, sans s’inquiéter pour leurs enfants, à poursuivre leur carrière et à réduire le taux d’absentéisme surtout pour les femmes. Les employeurs en sont bénéficiaires autant que les employés car il a été prouvé partout dans le monde que la productivité autant que la qualité du travail s’améliorent lorsque les parents sont rassurés par rapport à leur progéniture.
Toutefois, pour que le projet de garderies en milieu professionnel réussisse, il faut y déployer les moyens adéquats aussi bien financiers qu’opérationnels.
Entretien avec l’initiateur du projet Mostakbalna», Maher Haffani.
WMC : Tout d’abord, quelle serait la mission de l’association Mostakbalna dans l’amélioration des conditions de travail des parents pour ne pas dire des mères tout court?
Maher Haffani : La création de garderies dans les entreprises et administrations comporte des avantages indéniables tant pour le secteur public que pour les entreprises privées:
-du côté du secteur public, l’accueil de la petite enfance dans des structures adéquates implantées dans le milieu professionnel pourrait, sur le long terme, contribuer à réaliser des économies substantielles et s’inscrirait dans le cadre du développement durable;
-du côté des entreprises, la mise en œuvre d’une politique du personnel orientée sur la garde des enfants en bas âge permettrait de réaliser un potentiel d’économies supérieur aux dépenses engendrées par la perte de capital humain qu’entraîne un retrait prolongé des femmes de la vie active. Selon certaines études, la création de crèches d’entreprise a un retour sur investissement estimé entre 8 à 10%;
-du côté des mères d’enfants en bas âge, la création de crèches, au sein ou à proximité de leurs lieux de travail, améliorerait indéniablement leur quotidien, leur emploi du temps et permettrait de mieux concilier vie professionnelle et vie familiale;
-du côté de la petite enfance, la création de structures d’accueil en entreprise offrirait aux enfants un cadre stable et leur donnerait accès à une socialisation adéquate, préparant leur future intégration dans le système scolaire;
-du côté plus général de la collectivité, les apports sont également nombreux: création d’emplois pour du personnel éducatif, administratif et d’intendance, meilleur attrait des entreprises et de la région, potentiel de croissance économique plus élevé, etc.
Je pense même qu’il serait opportun d’instaurer un réel partenariat entre le secteur public et les entreprises, dont les caractéristiques et conditions pourraient être les suivantes:
· les communes seraient chargées de la négociation avec les entreprises;
· les communes établiraient un contrat-cadre, réglementant de manière précise les modalités de ce type de collaboration;
· des avantages fiscaux pourraient, sous certaines conditions, être accordés aux entreprises prenant part au projet;
· la participation financière des parents à la garde de leurs enfants devrait tenir compte de leur capacité économique;
La création de crèches d’entreprise permettrait à davantage de femmes de concilier vie active et vie professionnelle, ce dont toute l’économie pourrait bénéficier.
Vous êtes pédiatre et vous avez décidé de vous lancer dans l’associatif en créant Mostakbalna, pourquoi cet engagement dans l’associatif après le politique (PDP)?
Pendant le temps passé au PDP, j’ai cultivé spontanément le refus de la distance qui caractérise les réflexes et les attitudes des politiques face aux réalités de terrain.
C’est d’autant plus surprenant dans un pays où se pose avec acuité le problème de la représentation et même de la représentativité et le positionnement des catégories sociales les plus faibles dans les programmes socioéconomiques des partis politiques hors clichés et déclarations d’intention. Les politiques n’arrivent pas à offrir une vision claire et réaliste des intérêts et des préoccupations des catégories sociales vulnérables qu’on ne sollicite que lors de campagnes comme de simples instruments de renforcement des rangs. Juste après cela, elles sont oubliées.
Les associations peuvent être plus efficientes et servir de près ces classes sociales en essayant d’améliorer leur qualité de vie et en mettant à leurs dispositions les moyens d’évoluer au quotidien. Les associations prennent en compte les besoins des individus et organisent des actions collectives pour y répondre.
Ce qui nous amène également, et au-delà du rôle utilitaire des associations et leur proximité du citoyen, à parler d’une mission essentielle de la société civile. Celle de développer la démocratie participative et de renforcer l’implication des individus dans l’amélioration de leurs conditions de vie et la prise de décision. L’écoute des besoins et les réponses apportées à la demande sociale en faisant des citoyens des acteurs et non des assistés, c’est le but de notre association Mostakbalna, laquelle, en facilitant la vie aux parents, améliore la vie au sein des entreprises et renforce la responsabilité sociale des entreprises plus que jamais à l’ordre du jour.
Comment pouvez-vous soutenir les femmes au travail grâce à ce projet de création de garderie en milieux professionnels?
La garde des enfants en bas âge complique le quotidien des femmes actives et crée un frein à leur intégration sociale et professionnelle. La situation de pénurie que connaît notre pays au niveau des structures d’accueil de la petite enfance pousse de nombreuses mères actives à jongler entre différents modes de garde (parenté, voisins, amis, etc.), ce qui péjore tant leur situation professionnelle que le bien-être des enfants.
Pour sortir de cette situation, un souhait majoritairement exprimé par les parents est de passer d’un mode de garde individuel à un mode de garde collectif et confier les petits à des crèches ou à des jardins d’enfants.
De quels avantages bénéficieront les familles qui n’ont pas les moyens d’inscrire leurs enfants dans des garderies privées?
De plus en plus de jeunes couples ont recours aux services de garderies pour pouvoir vaquer à leurs activités professionnelles ou tout simplement par souci de voir leur progéniture acquérir quelques connaissances de base avant l’entame du cycle primaire.
A l’évidence, la prestation de la garderie n’est pas circonscrite à la garde des enfants. Aujourd’hui, nous sommes bien loin du concept de pure et simple garderie d’enfants qui doivent s’épanouir et s’ouvrir sur l’environnement dès leur plus jeune âge.
Mostakbalna inscrit son action dans les trois volets qui font que la fonction de garderie soit économiquement rentable pour l’entreprise ou l’administration publique en diminuant principalement le taux d’absentéisme maternel, pour les parents dont les moyens sont limités en faisant assumer à l’entreprise ou l’administration une part des frais de garderie et pour l’enfant qui devra tirer profit de cette fonction en accumulant autant le savoir comprenant les activités artistiques et culturelles que l’aptitude à une insertion sociale efficiente.
En tant que pédiatre, quelles sont les actions que vous pouvez engager dans le cadre de l’enfance pour soutenir les mères sans grands moyens financiers?
Mon travail c’est d’être pédiatre et de veiller sur la santé des enfants et quand il le faut de parler pour eux. Donc, pour moi, ce qui est important c’est de créer l’action. J’ai fait des choses dans le passé dans le domaine de l’enfance, mais Mostakbalna est la chose la plus importante, la plus sentie et la plus vécue, que je compte faire pour nos enfants. Qu’y a-t-il de plus important que de sécuriser les parents rien que par le fait de savoir qu’il y a des spécialistes de la petites enfance, des puéricultrices et puériculteurs, et même des enseignants qui s’en occupent et que les possibilités d’incidents ou d’imprévus sont réduits? Quoi de plus rassurant pour les parents que de savoir que leurs enfants ne sont pas loin et qu’ils s’adonnent à des activités créatrices ce qui les incite à se concentrer totalement sur leur travail?
Seriez-vous prêts à assurer des actes médicaux gratuits? Que proposez-vous en direction des classes sociales vulnérables surtout dans les zones industrielles?
De par notre métier et particulièrement à travers la pratique médicale quotidienne, je peux affirmer que la plupart des médecins de libre pratique sont sensibles à la situation précaire d’un certain nombre de patients et font leur devoir de soutien en toute discrétion et dignité.
Cependant, notre association Mostakbalna a à cœur de lancer un projet de création d’un fonds de solidarité nationale aux familles les plus démunies du pays en proposant aux médecins de l’approvisionner par une donation annuelle. Ce serait un honneur pour notre noble corporation de tendre la main à nos frères et sœurs tunisiens et tunisiennes en difficultés financières et que les déboires de santé n’ont pas épargnés. Que ces difficultés touchent les personnes en zones industrielles ou ailleurs, la maladie ne choisit que très rarement son terrain.