ouverture officielle du festival (Photo : Anne-Christine Poujoulat) |
[17/07/2012 08:46:44] AVIGNON (AFP) Traitée sur le mode émotionnel et de la farce, la crise financière s’invite sur les planches: pour la première fois au festival d’Avignon (sud-est), des metteurs en scène abordent le monde économique pour en démonter la “prétendue rationalité”.
L’Allemand Thomas Ostermeier présente à partir de mercredi une pièce d’Henrik Ibsen, “Un ennemi du peuple”, qui raconte la lutte d’un médecin pour faire éclater la vérité sur la pollution d’une station thermale face aux intérêts économiques.
Avec “15%”, donné à partir de jeudi, Bruno Meyssat se penche sur la crise des subprimes, les crédits immobiliers à risque, qui a éclaté aux Etats-Unis en 2008, un sujet également évoqué par l’Allemand Nicolas Stemann, à partir de samedi, dans “Les contrats du commerçant, une comédie économique”, réalisé à partir d’un texte de l’auteure autrichienne Elfriede Jelinek.
Les trois artistes tentent, chacun à leur manière, de dépasser l’opacité du langage économique et sa prétendue rationalité pour susciter interrogations, étonnements ou rires.
Pour Thomas Ostermeier, qui a réécrit 80% du texte original d’Ibsen pour l’adapter à notre époque, l’interrogation essentielle porte “sur le pouvoir de la vérité dans une société sur-économisée”, où le profit est érigé en principe dominant.
“Système économique diabolique”
“Les politiciens dans cette pièce parlent tous de la démocratie mais les vraies décisions sont prises en dehors de la majorité”, déclare-t-il à l’AFP. “Une fois les décisions prises, alors seulement on essaie de trouver une majorité.”
“C’est une question fondamentale aujourd’hui de savoir comment continuer avec ce système économique, qui est en fait diabolique”, affirme Thomas Ostermeier, qui qualifie son théâtre de “sociologique”.
Obsédé par la crise des subprimes, Bruno Meyssat s’est rendu aux Etats-Unis avec son équipe pour rencontrer les acteurs de cette crise et collecter sur le vif le maximum d’informations.
“L’écriture ne part pas d’une pièce mais d’une réalité partagée”, explique le metteur en scène. Pour lui donner vie, les membres de la troupe ont improvisé à partir de ce qu’ils ressentaient.
“On travaille à partir d’un matériel aride mais on crée des transpositions visuelles auxquelles s’ajoutent des textes, tous originaux, ou des propos tenus par des responsables économiques ou politiques sur les crises récentes”, assure-t-il.
“La finance adore dire qu’elle est extrêmement scientifique, fiable et en fait les économistes qu’on a entendus nous disent que c’est un jeu de passions et aussi un jeu idéologique. C’est-à-dire qu’on met des choses rationnelles derrière des choses qui sont pulsionnelles”, assure Bruno Meyssat.
Nicolas Stemann procède à une démythification radicale de l’économie à partir du texte d’Elfriede Jelinek, prémonitoire de la crise des subprimes. Il fait “une farce” de “la tragédie” de gens qui ont pensé pouvoir gagner de l’argent en se montrant intelligents.
“Ce système monétaire, on pense que c’est un système rationnel parce qu’il utilise des chiffres”, assure-t-il. “Mais sans la confiance, il ne fonctionne plus.”
Le spectacle, dont c’est la première en France, est réadapté en permanence, constamment ouvert à l’improvisation, le metteur en scène la dirigeant “live” sur la scène. “La manière de la comprendre est corporelle et énergétique”, dit-il, avec son “choeur des petits actionnaires” et celui “des grands actionnaires”, comme dans la tragédie grecque. Une manière, pour Nicolas Stemann, de “mettre la sphère économique dans le théâtre”.