La grande salle du Palais des Congrès était à moitié vide, ce 18 juillet 2012, à l’occasion de la journée nationale de récupération des biens confisqués à l’étranger. Mais la présence était de haut niveau. Le Premier ministre Hamadi Jebali était bien présent, à côté de Noureddine Bhiri, ministre de la Justice, mais également des ambassadeurs de pays arabes et européens, des personnalités politiques et des représentants de la société civile et d’organismes professionnels.
Objet de cette rencontre : faire le bilan des efforts de la Commission nationale de récupération des biens confisqués à l’étranger. Un bilan maigre, selon Mohamed Askri, membre de la commission et chargé de mission auprès du ministre de la Justice, puisque jusqu’à maintenant, les promesses n’ont pas été tenues. La Tunisie n’a pu récupérer que l’avion présidentiel, une villa au Canada et 28 millions de dollars à Beyrouth.
Critiques…
«Le but de cette journée est de mobiliser toutes les parties concernées, et surtout la société civile, dans l’effort de récupération des biens confisqués. Nous espérons aussi que les pays qui hésitent à nous aider savent que c’est le droit absolu du peuple tunisien», lance M. Bhiri.
De son côté, Hamadi Jebali estime qu’il y a eu des complications au niveau des procédures des conventions internationales. En plus, les pays concernés utilisent assez souvent les lois nationales dans le traitement de ce genre d’affaires. Le Premier ministre a appelé, ainsi, à miser sur le rôle de la société civile, afin de mettre plus de pression. Un appel venu trop tard, selon Chawki Tabib, doyen des avocats.
D’ailleurs, ces critiques n’ont pas manqué sur ce point. Il affirme que la politique entreprise dans le traitement du dossier était fausse dès le départ, puisqu’elle n’a pas associé la société civile et des organismes professionnels concernés. Il indique que les autorités tunisiennes ont totalement négligé l’Ordre des avocats tunisiens et a eu recours à un bureau étranger, exactement suisse.
Suivant le contrat signé entre ce bureau et la Banque centrale de Tunisie, aucun délai n’a été fixé ni aucune condition de travail pour l’avocat chargé de l’affaire, selon Me Tabib. Le contrat stipule aussi que le pourcentage des biens récupérés varie entre 3 et 8%. Le même pourcentage sera donné à l’avocat de la valeur de ces biens. Le recours à un bureau étranger est vécu comme une offense aux avocats tunisiens.
Des promesses…
Mais M. Askri explique que le choix de ce bureau par la BCT a été fait sur la base des offres de six bureaux candidats spécialisés dans la récupération des biens. «On a choisi le bureau qui propose l’offre financière la plus faible et la meilleure offre technique. L’avocat en question est connu pour son professionnalisme dans ce genre d’affaires», soutient-il.
M. Askri explique la lenteur des procédures de récupération par une non-coopération des pays concernés, principalement européens. Des procurations judiciaires ont été émises dans 25 pays, dont 31 en Europe, 21 dans les pays arabes, 10 en Amérique et 2 en Afrique, soit un ensemble de 64 procurations. Celles-ci servent à justifier, auprès de ces pays, le lancement de recherches et des investigations sur les biens à récupérer par l’Etat tunisien.
Selon le membre de la Commission de récupération des biens, il plusieurs pays ont promu leur collaboration sur la base de présentation de ces procurations judiciaires, mais rien n’a été fait jusqu’à maintenant. «La problématique ne se pose pas au niveau des procurations mais au niveau de ces pays», lance-t-il.
Difficultés…
Ajoutons à cela des difficultés d’ordre procédural, comme l’a indiqué le Premier ministre plus haut. Les conventions bilatérales et régionales de coopération judiciaire ne répondent pas de façon claire aux exigences de coopération internationale dans la lutte pour la corruption et la récupération des biens, parce qu’elles se basent sur des dispositions générales.
Selon Neyla Chaâbane, professeur de droit général, la convention des Nations unies pour la lutte contre la corruption est le cadre idéal pour ce genre d’action puisqu’elle contient des dispositions claires et précises sur la question, et qui peut être utilisée comme base pour redémarrer le processus de récupération.
En attendant, le professeur Mohamed Guesmi a noté que l’opération de récupération est une opération politique qui se base essentiellement sur des positions politiques. «Plusieurs pays ont été complices avec les dictateurs. C’est pour cette raison qu’ils demeurent hésitants à faciliter les procédures», estime-t-il. Il appelle à booster la participation de la société civile à cet effort. Un travail de longue haleine pour que le peuple tunisien puisse récupérer ses biens. «Celui qui attend est mieux que celui qui espère!», dit l’adage tunisien.