Tunisie – Constituante : Mustapha Ben Jâafar… peut mieux faire!

 

mustapha-ben-jaafar-220.jpgMustapha Ben Jâafar, le président de l’ANC, joue-t-il son rôle de modérateur au sein de cette instance? Peut-être pas toujours pour cet homme largement respecté d’une grande notoriété scientifique –il est un brillant professeur de médecine- qui est, plus est, un humaniste de pure souche, un militant sincère des droits de l’homme et un ardent défenseur des libertés. Dont l’élection à la tête de l’ANC a toujours nourri –et continue de nourrir- de grands espoirs pour la transition démocratique.

On avait bien espéré que les débats à l’Assemblée Nationale Constituante (ANC), issue des élections du 23 octobre 2011, seraient une fête. Ce loin –force est de le constater- d’être le cas.

On pourra toujours dire que le pays entier est en situation d’apprentissage de la démocratie. Celle-ci est du reste loin d’être un long fleuve tranquille. Certes. Mais, certaines séances, comme celle du mardi 18 juillet 2012, ressemblent –ce n’est pas exagéré de le souligner- à un pugilat. On pourra dire que c’est partout pareil: en France, où se trouvait le même jour le président de la République, une séance de l’Assemblée nationale avait donné l’occasion pour la droite comme pour la gauche de s’invectiver au sujet des heures supplémentaires.

Là, s’arrête sans doute la comparaison. Car à y voir de prêt, l’adversité qui est largement perceptible n’oppose, en Tunisie, que rarement les députés des deux camps, mais un camp (l’opposition à la Troïka) au président de l’ANC qui semble devenir, à bien des égards, celui qui cristallise cette adversité.

Les députés de l’opposition lui complique la tâche

Empressons-nous de dire que Mustapha Ben Jâafar n’a pas le beau rôle: il se doit de faire avancer une institution –l’ANC- qui est dépositaire des ambitions et des attentes de millions de Tunisiens qui veulent une rupture avec le passé. Et il en est conscient.

D’autant plus que des députés de l’opposition ne lui facilitent pas la tâche. Ils le mettent même souvent à bout de nerf. En jouant la montre ou encore en tentant de faire obstruction voire en l’attaquant plus ou moins directement.

Empressons-nous de dire aussi que des députés de son propre camp (la coalition de la Troïka) ne lui facilitent pas la tâche. En témoigne le comportement des députés d’Ennahdha qui ont coupé la parole à d’autres députés, lors de la séance du 16 avril 2012, en entonnant l’hymne national.

Il n’en est pas moins vrai que le président de l’ANC donne l’impression d’attiser les passions en oubliant qu’il est avant tout un modérateur. Son rôle n’est-il pas de gérer les conflits et de faire de sorte que le débat et le vote avancent sans le moindre couac? Il se doit de rassembler en considérant qu’il est le président de tous les députés.

Mobilisé pour répondre à toute incartade, voire à réagir à toute critique

Et c’est là où le bât blesse. Car, une simple observation de quelques séances de l’ANC montre que ce n’est pas toujours le cas. S’il est vrai qu’il appelle toujours au calme et à la raison, il lui arrive d’errer et d’agacer.

Il ne laisse, d’abord, rien passer. Il donne en effet l’impression d’être mobilisé pour réagir à toute critique des députés de l’opposition. Alors que toute critique ne mérite pas réponse systématique de sa part. En agissant ainsi, il donne l’impression que les critiques sont importantes ou qu’elles l’ont atteint. Il attise de ce fait de nouveau les passions de ceux qui en sont à l’origine qui trouvent là l’occasion d’enfoncer davantage le clou. Rares sont en effet les fois où les députés ne réagissent pas à la réaction de leur président qui décide très souvent de leur couper le micro ou de passer à autre chose. Et le débat de se terminer en queue de poisson.

Il finit, ensuite, souvent par élever la voix. Ce qui fait penser, à ceux qui observent la scène, qu’il est sorti de ses gonds. Evidement, certains intéressés trouvent là l’occasion d’aller crescendo. Résultat: une cacophonie qui vide quelquefois le fond du débat de son sens.

Il lui arrive, enfin, de réagir par une remarque, le moins qu’on puisse dire, peu avenante. Ainsi en est-il de cette réaction à l’égard d’un député d’Al Arridha Achâbya (la Pétition populaire) qui lui reprochait d’être partial, lors de la séance du 28 juin 2012 consacrée à l’extradition de l’ancien Premier ministre libyen de Moammar Kadhafi, Al Baghdadi Al Mahmoudi. Il lui a signifié que ce qu’il venait de dire tenait tout bonnement de la voyance. Il a utilisé, pour ce faire, avec un brin de malice, le titre d’une chanson de l’Egyptien Abdelhamid Hafedh: «la liseuse de marc de café» («Qariaatou Al Fenjane»). Alerté par des SMS, le député interrogea, un peu plus tard, le président de la Constituante sur le pourquoi de ce commentaire. Mustapha Ben Jâaffar ne trouva une autre réponse que celle-ci: «Il faut interroger pour cela le chanteur Abdelhalim Hafedh» (qui est l’auteur de la chanson). (Voir à ce propos sur WMC: Tunisie – Des membres de la Troïka: «Cause toujours…tu m’intéresses!»)

Il était bien temps

Réagissant, lors d’une autre séance, aux propos d’un autre député qui lui fit savoir qu’il ne pouvait intervenir alors que le calme ne revenait pas toujours dans l’hémicycle, Mustapha Ben Jâaffar lui déclara: «Si vous ne pouvez pas parler, je vais passer la parole à un autre député». Autre scène, autre sans doute remarque peu avenante: à un autre député, qui avait sans doute pris beaucoup de temps pour exposer ses propos, et qui fit remarquer volontairement qu’il allait conclure, le président de l’ANC ne trouva autre réponse que celle-ci, et sur un air apparemment exacerbé et malicieux: «Il était bien temps».

En agissant ainsi, le président de l’ANC prête bien le flanc à la critique. Dommage. L’homme est, aux yeux de nombreux Tunisiens, bien au-dessus des amateurs de querelles de tout bord: largement respecté, il est d’une grande notoriété scientifique –il est un brillant professeur de médecine-, un humaniste de pure souche, un militant sincère des droits de l’homme et un ardent défenseur des libertés. A ce titre, son élection à la tête de l’ANC a toujours nourri –et continue de nourrir- de grands espoirs pour la transition démocratique.