Présentée comme une victoire de la ligne «modérée», la réélection de Cheikh Rached Ghannouchi peut annoncer une crispation du parti autour de choix durs.
Il n’y a pas de doute, le score de 74% remporté par le leader historique du mouvement Ennahdha est annonciateur de gros temps sur la scène politique nationale. Promis à une fonction prestigieuse, à savoir la présidence de l’Association des savants musulmans, Cheikh Rached a fait un arbitrage douloureux. La compétition s’est beaucoup raidie sur la scène politique nationale. Le timonier restera aux commandes et bien à la barre. Faute d’accéder au titre de père de la nation arabe, avec peut-être l’espoir de mieux exporter le modèle de la révolution tunisienne, il a préféré conserver celui de maître de la Tunisie. En gardant le témoin, c’est lui à coup sûr qui conduira la campagne électorale, une fois le moment venu.
Que peuvent être les thèmes forts de la prochaine campagne ?
Tout faire pour durer au pouvoir
La ligne «modérée» a tout de même réussi à escamoter le débat sur la question fondamentale qui doit structurer la Constitution à naître. Cheikh Rached, en patriarche incontesté, a éludé la question de la séparation entre pouvoir et religion. De ce point de vue, le IXème congrès n’a apporté aucune nouveauté. Dans ce flou, toutes les options restent ouvertes et nous ne sommes pas sûrs du choix du caractère civil de l’Etat. Il est vrai qu’Ennahdha a cédé sur l’Article premier et qu’il a été adopté tel quel. Mais Ennahdha se crispera sur le régime parlementaire. De même qu’elle fera tout ce qui est en son possible pour que la loi électorale lui soit favorable. Ces deux conditions peuvent lui permettre de demeurer, en l’état actuel des choses, de pouvoir dominer à l’Assemblée et d’être maître du jeu et de pouvoir régenter toute alliance au pouvoir. On sera dans un scénario semblable que s’est donnée la démocratie chrétienne en Italie.
Pour l’heure et dans l’état actuel de l’opposition, ces prédictions peuvent se vérifier si aucune initiative réaliste d’envergure ne se fait jour. En jouant la pérennité, Ennahdha pourra sur le moyen terme rééquilibrer le texte conformément à son crédo et le rétablissement de la Chariaâ demeure une éventualité plausible. Elle se met en perspective. On n’imagine pas la présidence actuelle du parti renoncer à sa doxa. Le parallèle n’est peut-être pas tout à fait indiqué mais tous les partis communistes ne se sont pas fait à l’idée de renoncer à la dictature du prolétariat. On ne confirme pas un leader charismatique à la présidence pour faire dissidence mais bien pour assurer la continuité.
Quelles contingences peuvent survenir et perturber ce scénario?
La perspective d’un duel entre Cheikh Rached et BCE se confirme
Habile tacticien et vieux routier de la politique, Cheikh Rached a bien pu convaincre les congressistes qu’il sent le vent tourner et qu’il est seul à pouvoir affronter l’adversité. En effet, le marché chaotique de la transition a ouvert un grand boulevard à «Nida Tounès». Le mouvement n’est pas encore sorti des limbes qu’on le voit occuper beaucoup de place. L’ennui est qu’il représente un choix alternatif crédible. Ce sera, pour emprunter une expression déjà consacrée, un moment de choc de civilisations. Nida Tounès, avec une option nationaliste et un modèle d’état civil et social et une garantie d’une stabilité institutionnelle, a de grandes chances de fédérer, d’agglomérer les forces politiques et de relancer le chantier de l’unité nationale. Les deux chefs historiques se cherchent et ils pourraient bien finir par se retrouver. Nous considérons que beaucoup de manœuvres seront tentées de part et d’autre pour gêner l’adversaire. Il devient plausible que la justice transitionnelle remonte à davantage que 23 ans, peut-être irait-elle jusqu’à 50 ans dans l’espoir d’éclabousser BCE et de nuire à son travail d’image building. Le prochain scrutin sera celui le vote du destin pour la démocratie et la mère des batailles pour nos libertés.