L’institution est encore au milieu du gué. Peut-elle préserver son indépendance? Tout dépend du nouveau gardien du temple et de sa manière à plaider pour cette priorité.
Il faut espérer que l’épisode de l’éviction de MKN –pour Mustapha Kamel Nabli- ne fût qu’un blindage salutaire pour le fonctionnement institutionnel. Il faut espérer qu’il se soit définitivement créé une casuistique qui éloignerait, à l’avenir, tous les dépassements de procédures et d’agissements arbitraires. Il s’agit bel et bien de préserver les mœurs institutionnelles du syndrome de la “bananisation’’. Nous traversons une période délicate, de transition, dont l’issue va conditionner les pratiques politiques de la nouvelle République qui se met en place. Cependant, le combat pour le limogeage du gouverneur de la BCT ayant basculé vers un affrontement «intuitu personae», le débat a été escamoté.
L’opinion est restée sur sa faim. Il faut remettre l’ouvrage sur le métier. Le papier de Dr. Moncef Guen, ancien haut fonctionnaire au FMI, dans les colonnes de notre confrère le quotidien La Presse de Tunisie de ce samedi 21 juillet(*) relance l’interrogation sur le financement de la croissance. N’est-ce pas là le véritable challenge du moment?
Un homme d’élite, sûr de lui et sabreur
On a vu MKN monter au filet, faire face et livrer bataille. Il a joué le coup comme personne. Son exposé technique le met au-dessus de toutes hésitations et le met en droite ligne avec les plus grands argentiers. On a en mémoire l’acte de résistance de Jean-Claude Trichet à la tête de la BCE (Banque centrale européenne) qui ferraillait becs et ongles contre les plus grands dirigeants européens. On lui reprochait, à lui aussi, de s’acharner à lutter contre l’inflation et à tourner le dos à la reprise de la croissance. Sa réponse imperturbable fut que la monnaie ne se substituera pas au capital, seul vecteur de relance de l’investissement.
Agissant en toute responsabilité, MKN tenait un langage similaire. Maître de ses émotions, dominant son effusion, bataillant au nom des principes républicains, il s’est interdit de se laisser embarquer dans une surenchère d’invective. Il nous a épargné une débâcle démocratique «stadière» dans l’enceinte de l’ANC. Il n’a pas cédé à la provocation et aux assauts de calomnie. Son comportement digne et «indémontable» constitue un repère, un référentiel, pour les dirigeants républicains qui auront à affronter des situations d’hostilité.
Résister à l’animosité, oui c’est possible et ça grandit son homme. On peut affronter des rivalités, avec ce détachement serein et de l’assurance. Au final, MKN est parvenu à dépassionner la situation pour donner du relief au débat économique qui a été confisqué par les tenants de la provocation ouverte. La pierre d’achoppement reste la politique monétaire. La finalité qui lui a été assignée par l’ex- gouverneur sera-t-elle respectée?
La politique monétaire: une efficacité limitée dans le temps
MKN a toujours gardé à l’esprit que la politique monétaire n’avait qu’une seule finalité, à savoir la préservation du système de paiement contre l’effondrement. L’injection de monnaie doit empêcher que se produise l’assèchement du crédit, c’est-à-dire le blocage du financement de l’économie, appelé «Credit Crunch».
Comme en toute situation de crise, les opérateurs manifestent une préférence marquée pour la liquidité. Près de 700 milliards ont été retirés du système. Il fallait y pourvoir. La planche à billets trouve là sa seule fonction. La baisse du taux directeur a eu également sa part d’efficacité. Elle n’a pas été entièrement engloutie par le système bancaire. Elle a également profité aux entreprises qui ont bénéficié de près de 280 millions de dinars de charges financières en moins.
Devait-on continuer à injecter de la monnaie dans le système et laisser le taux directeur bas? La réponse de MKN est que la politique monétaire ne saurait se transformer en instrument qui permet à l’Etat de comprimer la charge de son endettement ni au système de tourner indéfiniment.
A présent, il faut rengainer les armes de la monnaie et embrayer sur une véritable politique d’investissement. N’est-ce pas autour de cette question cruciale que devra se tenir l’audition du nouveau locataire de la Grande Dame de la rue de la Monnaie?
Que faire de la bulle monétaire?
La politique monétaire, qu’on se le dise bien, représente une perfusion momentanée pour le système. Elle n’a pas que des avantages. Elle peut présenter certains inconvénients. Dr. Moncef Guen l’évoque dans son papier. Il relève que la masse monétaire dans sa composante M1 (somme des billets de banque en circulation et des dépôts clients auprès des établissements de crédit) a augmenté de 20% entre le 31/12/2010 et le 31/12/2011 alors que le PIB s’est rétracté de 1,8%. C’est là un facteur déstabilisant. Est-il pour autant responsable d’une inflation monétaire. L’auteur pense que oui et MKN dans son intervention dit que l’impact de l’expansion monétaire ne se réalise qu’au bout de trois à quatre trimestres au minimum et ce dernier d’ajouter que l’inflation a un cycle autonome de deux ans en Tunisie et il le montre, statistiques à l’appui, et ce depuis 2001.
Nous tenons là les éléments d’un véritable débat mais également du sujet de l’examen de passage pour le nouveau futur gouverneur. N’est-ce pas sur cette question précise qu’il faudrait le sermonner avant sa confirmation?
Par ailleurs, Dr. Moncef Guen soutient que la progression de la masse monétaire n’a pas servi que le crédit aux entreprises. Elle a nourri un emballement des crédits à la consommation. Et on a vu les crédits aux particuliers atteindre un pic de 2,4 milliards de dinars, et qu’au même moment, la formation Brute de Capital fixe (FBCF) a baissé de 15,6 à 14,1 milliards de dinars. Il est vrai que c’est là un aspect bien contrariant.
En effet, les importations n’actionnent pas la reprise locale. Nous rappelons toutefois que cet aspect a été discuté par Joseph Stiglitz lors de sa conférence à l’IHEC. L’illustre économiste a décerné un satisfecit à MKN pour son programme anti «credit crunch». Le prix Nobel a bien rappelé que Ben Bernanke, président de la FED, a fait pareil en 2008 aux Etats-Unis pour éviter un credit crunch des suites de la crise des «subprimes». Il a aussi rappelé que la majorité des injections monétaires n’a pas directement profité au système américain car la grosse part de ces liquidités est partie vers les marchés émergents hors des Etats-Unis qui étaient plus attractifs.
Donc, le risque de déviation existe partout et dans toutes les économies du monde. A ce propos Moez Laabidi, professeur d’économie et membre du Conseil de la politique monétaire, s’est expliqué sur la question ajoutant que le conseil était bien conscient de ce risque mais le jeu valait la chandelle. Si donc, l’ANC veut reconduire l’indépendance de la BCT, on le saura. Il n’y a qu’à voir si le nouvel élu sera d’abord jaugé sur sa capacité à maîtriser la situation. Tout autre critère de confirmation nous cachera des surprises.
(*)La bulle monétaire de 2011 en Tunisie.