Les débats tragi-comiques qui ont marqué, ces jours-ci, le limogeage du gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT), Mustapha Kamel Ennabli, et son remplacement, au forceps, par Chedli Ayari, plusieurs fois ancien ministre de Bourguiba et ex-sénateur du temps de Ben Ali, illustrent de manière éloquente que les pouvoirs qui se sont succédé en Tunisie, depuis plus de 56 ans d’indépendance, trouvent toujours beaucoup de difficultés pour désigner l’homme qu’il faut à la place qu’il faut. La question qui se pose dès lors: Est-ce une fatalité pour les Tunisiens de subir, éternellement, ces limogeages-nominations à problèmes? Ou existerait-il, quelque part, un moyen pour s’en sortir?
Logiquement, ces difficultés ne sont pas fatales. Leur origine est bien connue. Elles sont générées, le plus souvent, par les régimes dictatoriaux sous lesquels les Tunisiens ont vécu, jusqu’à ce jour, y compris le régime transitoire actuel. Sous les dictatures, de Bourguiba, de Ben Ali, et aujourd’hui, d’Ennahdha, les hauts fonctionnaires de l’Etat sont nommés sur la base de critères rarement objectifs. Les récipiendaires sont désignés soit en fonction des services rendus aux dictateurs, soit en fonction de leur alliance parentale, clanique, népotique, régionale, idéologique, «gallique»…
Conséquence: les dictatures ont pour logique de ne faire profiter des avantages du pouvoir que leurs proches lesquels, pour peu qu’on s’amuse à les soumettre aux normes de nomination internationales, risquent de s’avérer de minables resquilleurs et usurpateurs de postes. Le pouvoir nahdhaoui et associés a poussé le culot jusqu’à usurper le rôle de Dieu en décrétant tel est «un bon musulman» et tel autre est «un mauvais musulman». Le comportement de la police salafiste avec les Tunisiens qui ne jeûnent pas, en ce mois de Ramadan, est le moins qu’on puisse dire scandaleux et digne des pires dictatures.
Le phénomène a pris tellement de l’ampleur que les Tunisiens exclus de «cette cour des faveurs» parlent de «tribalisme bancaire, universitaire, médical, aéroportuaire…», allusion aux membres d’un même clan, d’une même famille ou d’une même région travaillant dans une même entreprise publique…
C’est pour dire que la désignation est une pratique dictatoriale discriminatoire aux conséquences désastreuses pour le pays en ce sens où les précautions n’ont pas été assez prises, en amont, pour dissuader les dérapages et des abus ultérieurs des chouchous nommés.
Par contre, en démocratie, système politique auquel nous aspirons, toujours, malgré la révolution du 14 janvier, les nominations aux hauts postes de l’Etat se déroulent autrement, c’est-à -dire dans la transparence et sur la base de la méritocratie et de l’équité des chances pour tous.
La démocratie a justement pour vertu d’associer le maximum de compétences confirmées à la gestion de la cité. L’objectif est de faire en sorte que chaque citoyen y trouve une opportunité pour jouer un rôle et œuvre à en garantir la stabilité et l’immunité.
Pour revenir à la nomination du nouveau gouverneur de la BCT, il aurait été plus judicieux comme l’a récemment proposé Abdelwahab El Héni, président du parti Majd, de lancer un appel à candidatures pour la sélection de cet oiseau rare.
Selon M. Héni, «l’appel à candidatures est une sorte de concours, voire une démarche démocratique qui a pour vertu de garantir la motivation du postulant, sa compétence, l’expertise acquise, l’âge exigé pour l’exercice de ce poste délicat, son programme et l’intégrité du candidat à retenir. L’objectif de cette démarche est de garantir, dès le départ, la stabilité du poste, et par ricochet une meilleure visibilité de la politique monétaire du pays et l’indépendance de la Banque centrale».
Il est temps également, comme l’avait suggéré Moncef Cheikh Rouhou, universitaire et constituant, d’opter pour un nouveau profil du gouverneur de la BCT à travers, notamment, la révision du Statut de la Banque centrale, de son adaptation aux standards internationaux et sa non-association directement aux problèmes de la croissance et du développement. L’ultime but étant de faire en sorte que cette institution se limite à l’exercice de son propre métier, celui-là même qui consiste «à veiller sur la monnaie et sur le crédit», conformément à la mission qu’elle reçoit de l’Etat dans le cadre de sa politique économique et financière.
Cela dit, la problématique des désignations aux hauts postes demeure totale en Tunisie. Pour réussir cette épreuve, il suffit pourtant de certaines expertises réussies en la matière dans d’autres pays.
A titre indicatif, aux Etats-Unis ne sont éligibles aux hauts postes que les postulants qui prouveront qu’ils ont donné et peuvent encore donner à leur pays. Le principe est simple: le candidat, quels que soient ses diplômes, ses connaissances-alliances, ses expertises locales et internationales, doit prouver, avant tout, ce qu’il a réussi et ce qu’il peut réussir sur le terrain et non virtuellement comme c’est le cas en Tunisie.
La règle dans le pays de l’Oncle Sam est désormais «tu es dans ce que tu donnes», devise inspirée de la célèbre déclaration du président John Kennedy: «Ne demande pas ce que ton pays peut faire pour toi, demande ce que tu peux faire pour ton pays»(*).
Moralité: la compétence-performance individuelle ne doit plus constituer, de nos jours, un passeport valide pour exercer, automatiquement, de hautes fonctions de l’Etat.
Des vertus comme la qualité morale, le patriotisme, le sens de l’efficacité, la célérité dans l’exécution, l’anticipation, l’audace, la volonté de réussir, la prise de risques calculés et l’engagement à réaliser des acquis (lesquelles vertus sont loin d’être garanties en Tunisie), sont des facteurs déterminants pour évaluer, dorénavant, les postulants aux hauts postes.