Juste,
inique, politique ? Le procès des syndicalistes de l’UGTT à Sfax, fief, depuis
toujours des syndicalistes tunisiens et forteresse imprenable à ce jour, a
suscité pas mal de remous dans la population tunisienne. Comment un fait qui
aurait pu passer inaperçu a-t-il viré en une affaire aussi grave qui mènerait à
l’immobilisation de la ville économique du pays et causerait des pertes énormes
au pays à force de grèves successives ?
L’Affaire Hôpital Chaker Sfax exprimerait-elle la volonté de l’Etat de casser
le « Syndicat » dans son fief même ?
Certains syndicalistes auraient reçu des coups de la part de la police «
républicaine » et subiraient aujourd’hui un procès inique de la part d’une
justice « indépendante ». Qu’arrive-t-il à la Tunisie de la transition
démocratique?
Me Mondher Belhadj Ali, avocat des prévenus et militant de longue date nous
l’explique dans l’entretien ci-après.
Me, les remous suscités par le jugement des syndicalistes de l’UGTT à Sfax n’ont
pas cessé d’alarmer l’opinion publique, quels en sont d’après vous les dessous ?
Le procès des Syndicalistes a commencé par la tentative d’exécution d’un
jugement judiciaire portant évacuation de la cour de l’hôpital Hédi Chaker à
Sfax et installation du nouveau directeur à son poste. Exécution à laquelle les
syndicalistes sont aujourd’hui accusés de s’y être opposés. Parlons tout d’abord
du jugement en lui-même, il est singulier dans la jurisprudence tunisienne,
c’est la première fois que la gestion des services publics est prise en charge
par les tribunaux judiciaires alors qu’elle relève exclusivement de la
compétence du tribunal administratif. Nous sommes face à un jugement judiciaire
qui n’a aucun sens car il est édicté par une autorité juridique incompétente en
l’espèce. Pire, il a été exécuté par le directeur général lui-même qui a demandé
le recours à la force publique. Inadmissible, car les seuls habilités par la loi
à recourir à l’exécution d’une décision du tribunal par la force publique dans
le droit tunisien sont les huissiers notaires. Ca ne peut aucunement être du
ressort du simple citoyen.
Il paraît qu’il y a eu des personnes en dehors de la sphère même de l’hôpital
qui auraient également soutenu les forces de l’ordre dans leur opération
d’évacuation de l’hôpital ?
La structure régionale du parti
Ennahdha aurait contribué à travers son premier
responsable régional Aref Maalej et ses militants aussi à l’exécution du
jugement, vers où va-t-on ? Plus grave, certains des prévenus syndicalistes ont
subi des sévices et les traces de tortures paraissaient claires sur leur corps
meurtris par les coups reçus par la police jusqu’à hier lundi. Les juges n’ont
pas accepté leurs revendications pour se faire examiner par des médecins
légistes. Pour nous, en tant qu’avocats, le dossier des syndicalistes a été
fomenté de toutes pièces. En fait, il y a un dossier mais pas d’affaire parce
qu’il n’y avait pas de jugement légal qui ait été exécuté légalement. C’est un
jugement inique et une procédure illicite d’exécution et des parties procédant à
l’exécution qui n’ont aucune qualité juridique de par nos textes. C’est une
première dans le droit tunisien. Violer le droit tunisien de pareille manière,
c’est plus que surprenant voir choquant !
Vous êtes également un militant politique, quelle interprétation, explication ou
justification politique apportez-vous à cette affaire et à ce procès ?
D’après les faits et les actes que nous voyons perpétrés ces derniers temps par
l’exécutif Jebali, il me semble qu’Ennahdha est aujourd’hui en train d’imposer
des responsables nationaux et régionaux plus par souci de loyalisme et
dévouement au parti régnant que par soucis de compétences et qualifications.
Dans le cas de l’espèce, il semblerait que le directeur nommé par le ministère
soit un ancien Rcdiste reconverti en militant
Ennahdha mais indépendamment de ces
considérations qui peuvent se révéler fausses, il est rejeté par le personnel.
Il y a une réaction, aujourd’hui en Tunisie contre les nominations abusives du
Gouvernement Jebali. Cela veut dire aussi que la deuxième partie de la
transition ne peut être que consensuelle et ne peut en aucun cas être
unilatérale. Ce type de désignation est vraiment unilatéral et une bonne partie
de la société civile et des structures politiques du pays s’opposent à cela, c’est
le cadre réel du conflit. En plus, nous constatons aujourd’hui, d’après nombre
de témoignages faits devant le tribunal, la réapparition des tristes milices du
parti au pouvoir. Il n’y a de changé que le nom du parti. Ce n’est pas une bonne
nouvelle pour la démocratie. Cela ne sécurise pas les Tunisiens sur leur avenir.
A bien d’égards, il s’agit bien d’une tentative de diversion face au dossier des
réparations et dédommagement des anciens prisonniers politiques, face au
limogeage du gouverneur de la Banque centrale et de la démission du ministre des
Finances. Une démission suivie de déclarations fracassantes et alarmantes pour
la stabilité sociale et économique du pays.
Mais cela ne fait pas diversion, on compte lasser les Tunisiens, les composantes
de la société civile, faire en sorte qu’ils se résignent à force de bras de fer
successifs, cela ne réussira pas et ne passera pas. Il y a urgence à retourner
au consensus, élément moteur capable de faire réussir la deuxième phase de la
transition.
Ne pensez-vous pas, d’autre part, qu’il n’est pas normal qu’à chaque fois qu’un
haut responsable est nommé, le personnel proteste et exige son départ. Il n’y a
plus de discipline et plus de respect pour les institutions…
Vous oubliez que la révolution est passée par là et que les Tunisiens ne sont
plus prêts à accepter un supérieur hiérarchique plus fidèle à son parti qu’à la
Tunisie et plus respectueux de ses chefs au parti que des institutions. On ne
refuse pas la compétence, on refuse les nominations abusives comme je l’ai dit
précédemment. La Tunisie, ses intérêts doivent être au dessus de tout et c’est
ce que le gouvernement ne semble pas comprendre car son agenda est partisan
et non national ou patriotique. Je crois au contraire que tout le crédit
qu’avaient
Ennahdha et la Troïka d’une manière générale est en train de prendre
de sérieux coups. Résultats des derniers événements : il s’agit réellement d’une
chronique d’une défaite annoncée d’autant plus qu’ils rappellent étrangement les
mauvaises pratiques de l’ancien pouvoir. Peut-être qu’Ennahdha pense aujourd’hui
que Ben Ali a réussi à gouverner pendant 23 ans grâce à la politique du bâton et
des fois de la carotte. Les Tunisiens ont fini quand même par le destituer. La
méditation sur cela ne serait peut-être pas un luxe pour le gouvernement
aujourd’hui au pouvoir.