En cette phase inflationniste, il faut trouver les moyens de stabiliser les prix des denrées agricoles. La recette la plus efficace, en sus des parades techniques et d’amélioration du rendement, reste la protection du revenu des exploitants agricoles. Nos partenaires américains et européens ne font pas autrement.
Annoncer en pleine canicule, que gouvernement et syndicat agricole sont tombés d’accord pour augmenter les prix du lait et du concentré de tomates, c’est un anti-coup de fraîcheur. Déjà que les prix agricoles sont devenus fous. Le chaland fait les cent pas sur les dalles des marchés municipaux et rentre bredouille. En plein mois d’abstinence, demander au consommateur de se priver pour faire pression sur les prix à la baisse est à contrecourant. Le panier de la ménagère devient une charge lourde et onéreuse. Et c’est d’autant plus douloureux, en période ramadanesque, convertie par le génie tunisien en parenthèse rabelaisienne axée sur les plaisirs de la table. La frustration est trop pesante. L’ennui est qu’en pleine flambée inflationniste, si les prix agricoles continuent de grimper, il y a à redouter ce qu’on appelle les «effets de second tour». La persistance de la hausse des prix peut être à l’origine de revendications salariales, à l’effet d’ajuster le pouvoir d’achat. Celles-ci viendront, à leur tour, alimenter la pression inflationniste et la spirale s’installe.
Apprendre que le lait et la tomate en concentré vont, on se dit après tout, en comparaison de la valse des étiquettes à l’étal, ce sont les deux petits derniers oubliés. Et voilà qu’ils rejoignent le reste du groupe tel les viandes, qui se sont arrangées pour s’auto-augmenter sans demander l’avis de personne.
Un problème que nous traînons depuis l’époque de la collectivisation
Nous pensons que notre retard agricole pénalise la performance globale de notre économie. Et ce, depuis la collectivisation, qui a abordé la question épineuse de la transformation du secteur sans parvenir à trouver la voie adéquate. Ahmed Ben Salah a mis en place les Caisses locales du Crédit Mutuel, pour trouver des solutions de financement appropriées, proches de la réalité agricole. Et la mécanisation du secteur a commencé mais sans aller jusqu’à son terme. Il a bien mis sur pied les coopératives de services agricoles, un genre de groupement d’intérêt économique pour faire jouer la synergie. Les coopératives sont toujours là, mais leur impact est mitigé. Il a mis en place les offices d’Etat, pour structurer l’offre globale. Pareil, l’effet de ciseau a joué. Les marchés de quartier, la société de transport léger devaient réorganiser les circuits de distribution ont joué partiellement.
Au final, une dynamique sectorielle globale a fait défaut. De nombreux progrès ont été faits mais faute d’une politique agricole nationale, soutenue et de longue haleine, les vagues de réformes ont manqué de cohérence, dirons-nous. La STIL (Société tunisienne, d’industrie laitière) a, pour sa part, ouvert la voie à l’agro-industrie. Beaucoup a été fait. Beaucoup reste à faire. Des structures privées se sont montées. Il n’y a presque plus un problème d’approvisionnement général qui se pose au pays.
Toutefois, l’agriculture reste plombée par la structure des coûts. Nous produisons le litre de lait le plus cher des pays du pourtour de la Méditerranée et c’est la consultation nationale sur le lait qui a eu lieu en 2007 qui l’avait révélé. Nous avons donc un problème de structure de surcoûts. Ajouter à cela l’inélasticité du marché qui fait que les opérateurs peuvent faire trembler les pouvoirs publics en brandissant les menaces de pénurie. Et on comprend que la situation actuelle soit aussi tendue.
L’Etat doit mettre la main au portemonnaie
Des prix agricoles chers, c’est le meilleur ingrédient d’effervescence sociale. Qu’on se le dise, quand les dépenses d’alimentation dévorent le revenu des salariés, rognant leur pouvoir d’achat, il faut réagir. Il se trouve qu’à l’heure actuelle, les petits exploitants agricoles croulent sous plusieurs contraintes. Le salariat agricole est doublement pénalisant. Les salaires ont beaucoup augmenté et la productivité ne suit pas. Il est nécessaire d’ouvrir la voie aux intermittents. Ce sont en général les étudiants et élèves du secondaire qui peuvent apporter un renfort lors des grandes campagnes. La solution structurelle restera la mécanisation.
Par ailleurs, les prix des intrants importés flambent. Or quand les coûts de production flambent, les prix à la production s’emballent et se retrouvent hors marché. Les agriculteurs enregistrent des pertes. Et c’est là que l’Etat peut intervenir. A l’instar de la Politique Agricole Commune (PAC) pratiquée en Europe ou des subventions à l’exportation pratiquée aux USA, c’est-à-dire les deux agricultures les plus puissantes au monde, il faut subventionner. Ce qui est avantageux, en ce cas, c’est que le petit exploitant agricole produit bien moins cher que les groupes organisés. Ces derniers assurent l’approvisionnement stratégique. Ils ont des structures coûteuses de prix de revient. Les petits exploitants, pour leur part, assurent l’appoint d’approvisionnement. Ils empêchent les pénuries et présentent une offre bon marché, pour peu qu’on les préserve des sur-augmentations intempestives des cours mondiaux des intrants de base.
Ce n’est donc pas antiéconomique de subventionner l’agriculture. Au contraire, c’est même un facteur de stabilité économique et sociale.