é des devises à Tokyo, le 18 juin 2012 (Photo : Yoshikazu Tsuno) |
[09/08/2012 08:32:19] TOKYO (AFP) Malgré les cris d’orfraie qui accompagnent chaque poussée de fièvre du yen, la Banque du Japon et le gouvernement nippon semblent résignés à l’appréciation de leur monnaie et cherchent à maximiser ses avantages.
“Valeur refuge” en temps de crise, le yen a entamé son ascension au début de la crise financière internationale à l’été 2007, et l’a poursuivie au gré de la crise de la dette en Europe et du ralentissement économique mondial.
En cinq ans, le dollar a chuté de 123 yens à 78, et l’euro de près de 170 yens à 97.
Cette flambée pose un dilemme aux exportateurs nippons: augmenter leurs prix en devises étrangères, afin de conserver leurs marges, ou ne pas toucher à leurs prix mais subir alors une réduction de leurs recettes hors de l’archipel, lors de leur conversion en yens.
“En général, ils abaissent leurs prix en yens, ce qui réduit leurs profits et les salaires, contribuant à la déflation au Japon”, explique Ivan Tselichtchev, professeur d’économie à l’Université de gestion de Niigata.
“Mais avec +l’hyperappréciation+ actuelle du yen, cette stratégie atteint parfois sa limite, notamment dans la production de semi-conducteurs et de télévisions à écran plat”, dont les fabricants japonais sont contraints de fermer des sites dans l’archipel.
Un yen de moins par euro fait ainsi chuter de 6 milliards de yens (60 millions d’euros) le bénéfice opérationnel du géant de l’électronique Sony.
Les constructeurs d’automobiles sont aussi affectés, notamment ceux qui exportent encore une part importante de leur production nippone.
La montée du yen au printemps a poussé Toyota à provisionner 70 milliards de yens (700 millions d’euros) de charges supplémentaires sur son résultat opérationnel annuel. Comme ses concurrents nationaux, Toyota développe sa production à l’étranger.
Régulièrement, les grands patrons appellent les autorités à agir contre le yen cher. Mais depuis une série d’interventions – peu concluante – sur le marché des changes, Tokyo semble peu ou prou résigné.
Des billets en yens (Photo : Yoshikazu Tsuno) |
Le gouvernement a ordonné pour la dernière fois en octobre 2011 une vente massive de yens, contre des dollars. Après une baisse éphémère, la monnaie japonaise a retrouvé sa vigueur, malgré les menaces de nouvelle intervention proférées par le ministre des Finances.
“La valeur du yen dépend de la conjoncture internationale. Avec la crise en zone euro, la demande en actifs internationaux sûrs reste forte”, souligne David Rea, du centre de recherche Capital Economics. Selon lui, “les autorités japonaises n’ont pas vraiment les moyens d’agir sur la valeur de leur monnaie au-delà du court terme”.
Fixer un cours-plafond, comme l’a fait la Banque nationale suisse au moyen d’interventions régulières, est illusoire côté japonais, de l’aveu même de Tokyo, en raison de la taille de l’économie nippone et du statut du yen, troisième monnaie de réserve internationale après le dollar et l’euro.
Fièvre acheteuse à l’étranger
En outre, le renchérissement du yen n’a pas que des inconvénients, comme l’a déjà avoué du bout des lèvres le gouverneur de la Banque du Japon, Masaaki Shirakawa, dont le comité de politique monétaire s’est gardé de toute initiative lors d’une réunion de deux jours terminée jeudi.
D’abord, les Japonais peuvent voyager à l’étranger pour moins cher… et ne s’en privent pas. Ce printemps, Japan Airlines a affrété des vols charter vers l’Espagne, l’Italie et la Grèce en raison d’une forte demande.
Nombre de magasins attirent les clients avec des “soldes du yen fort”, sabrant les prix de produits qu’ils importent meilleur marché.
Ce phénomène soulage aussi les compagnies d’électricité japonaises, au bord de l’asphyxie depuis la catastrophe nucléaire de Fukushima qui a entraîné l’arrêt quasi total des 50 réacteurs du pays.
Obligées d’importer des hydrocarbures en masse pour faire tourner davantage les centrales au gaz et au pétrole, leur facture énergétique a un peu moins gonflé que redouté grâce à la vigueur du yen.
Les puissantes maisons de commerce multiplient les acquisitions dans l’agriculture, les mines et l’énergie, tandis que les grandes banques nippones renforcent leur position de créancières sur les marchés mondiaux.
Au premier semestre 2012, les firmes nippones ont acheté pour 3.500 milliards de yens (36 milliards d’euros) de sociétés étrangères, d’après le cabinet tokyoïte Recof, un montant bien supérieur à ceux atteints pendant la bulle financière japonaise de la fin des années 1980.
Le gouvernement soutient cette politique et vient de prolonger un programme de prêts à bas taux, en dollars, destinés aux entreprises acheteuses et portant sur 10.000 milliards de yens (100 milliards d’euros).
“Le gouvernement aide les entreprises japonaises à s’internationaliser davantage en tirant profit de l’appréciation du yen”, résume M. Tselichtchev, pour qui le Japon est en train de redevenir l’une des puissances financières dominantes de la planète grâce à la force de sa monnaie.