L’événement sécuritaire, en ce mois d’août, a été à mon avis, la décision du Pentagone d’accorder une aide logistique à l’armée tunisienne. Cette aide dont aucun détail précis n’a filtré, jusqu’ici, ne manque pas d’enjeux pour la Tunisie, pays dont le Sahara est décrété “zone militaire“ en raison de l’insécurité qui y prévaut et pour les Etats-Unis, pays à la recherche d’appoints et d’alliés sûrs pour lutter contre Al Qaïda et sa filiale l’AQMI ((Al Qaïda au Maghreb Islamique).
Gros plan sur une aide qui ne dit pas, jusque-là, son nom exact
Les Américains, qui ont toujours traîné du pied pour encourager leurs investisseurs à s’implanter de manière significative en Tunisie, ont été, par contre, très rapides pour prendre acte, d’abord, des besoins de la Tunisie en matière logistique (réunion de la Commission mixte militaire tuniso-américaine, durant le premier trimestre 2012) et pour satisfaire, ensuite, la requête des Tunisiens, après seulement cinq mois de cogitation.
Les négociations ont été couronnées, comme on le sait, par la validation de cette aide, à l’occasion de la visite effectuée en Tunisie, le 30 juillet dernier, par le secrétaire américain à la Défense, Leon Panetta.
Mieux, quatre jours après le départ de Panetta, le ministre tunisien de la Défense, Abdelkrim Zbidi, apparemment pressé d’obtenir cette aide, a rencontré le nouvel ambassadeur des Etats-Unis à Tunis, Jacob Wallas, et discuté avec lui des moyens de concrétiser «cette aide logistique» aux contours et desseins peu connus (3 août 2012).
Toutes les interprétations sont, a priori, permises tant que l’expression «aide logistique» reste vague et non détaillée.
S’agit-il d’une aide en aval, c’est-à-dire satellitaire (fourniture d’informations sur les mouvements de personnes et de véhicules à la frontière tunisienne avec ses voisins, Algérie et Libye)? S’agit-il, par contre, d’une aide en amont (acquisition d’équipements spéciaux, formation, encadrement de militaires tunisiens…? Ou est-ce qu’il s’agit-il d’une aide logistique physique (aménagement au sud du pays d’une base de télescopes d’écoute et d’observation, ou carrément d’une base militaire)?
C’est pourquoi, lorsqu’Abdelkrim Zbidi déclare, lors de son entretien avec l’ambassadeur des Etats-Unis, que “les grandes lignes de la coopération militaire tuniso-américaine sont devenues plus claires après la visite en Tunisie du secrétaire d’Etat américain à la Défense, Leon Panetta“, il faut entendre, en bon observateur averti, qu’elles ne sont claires que pour lui et ses vis-à-vis américains.
Par delà cette frustration, les conditions dans lesquelles cette aide a été accordée et surtout la célérité avec laquelle elle a été octroyée suscitent beaucoup d’interrogations. A priori, il est très difficile de croire que cette aide soit accordée sans contrepartie.
Les véritables enjeux
Pour le cas de la Tunisie, l’urgence est de mise. L’armée tunisienne, une armée de surveillance des frontières, a été prise de court par les dérapages sécuritaires générées par la guerre civile en Libye (prolifération d’armes de guerre, et surtout, risque de leur transfert massif en Tunisie par le biais de frontières poreuses…), a très vite exprimé le besoin de se doter de plus de moyens et de compter sur la solidarité internationale (réintégration, en 2011, au programme d’assistance antiterroriste –Anti-Terrorism Assistance Training Program (ATA)- après une interruption de sept ans).
Pis, la Tunisie a reçu des messages très forts d’Al Qaïda et dérivés. En témoignent les deux accrochages, par hasard, avec des éléments surarmés se réclamant des activistes de l’AQMI (Al Qaïda au Maghreb Islamique) opérant à partir de l’Algérie, respectivement à Rouhia et à Bir Ali Ben Khélifa.
A ces accrochages, il faudrait ajouter d’autres faits: la destruction d’un convoi de terroristes se dirigeant vers l’Algérie, l’appel du successeur d’Oussama Ben Laden, l’Egyptien Aymen Al-Zawahiri, à l’insubordination en Tunisie et à l’application de la chariaâ (loi coranique), les fameuses lettres trouvées à Baghdad appelant les dirigeants d’Al-Qaïda à se rediriger vers la Tunisie pour y poursuivre leurs opérations militaires, autant d’éléments qui ne peuvent que préoccuper un gouvernement tunisien fragilisé à l’intérieur du pays par des dérapages de tous genres dont l’activisme des salafistes.
Pour les Etats-Unis, le véritable enjeu réside certes dans la lutte contre Al-Qaïda mais surtout dans la maîtrise de la situation au nord du Mali (possibilité de naissance d’un Etat islamiste du type de l’Afghanistan des Taliban), et pour ce faire, elle a besoin de la coopération de tous les pays de la région, y compris la Tunisie.
Conséquence, bien que la presse tunisienne n’ait pas assez évoqué ce dossier, la crise malienne a été bel et bien au centre des entretiens de Panetta avec les responsables tunisiens.
Pour preuve, dans le communiqué publié à l’issue de l’entretien avec le secrétaire d’Etat américain à la Défense, la présidence tunisienne, à titre indicatif, relève que la coopération sécuritaire et les mécanismes capables de «contrer les défis sécuritaires dans la région» ont été examinés dans le contexte de l’instabilité au Mali, pays dont le nord est occupé par les islamistes liés à Al-Qaïda (AQMI).
La tension que connaît la région du Sahel, où est implantée AQMI depuis plusieurs années, donne des soucis aux Américains. Les violences de ces derniers mois au Mali, et leur corollaire l’effondrement politique du pays, ainsi que la mise en circulation d’énormes quantités d’armes pillées dans les stocks de l’ex-dictateur libyen Mouammar Kadhafi, inquiètent plus d’un dans la région. Les pays voisins du Mali, l’Algérie et les autres pays du Maghreb, tout autant que les États-Unis et la France, pays concernés par le terrorisme dans cette région, observent non seulement avec attention la situation mais se concertent également sur les moyens pour contrer le terrorisme islamiste.
C’est peut-être là le véritable intérêt des Américains qui voient dans le Sahara tunisien une base arrière salutaire en cas d’intervention militaire au nord du Mali.
Moralité: l’aide logistique américaine cacherait peut-être une aide logistique tunisienne aux Américains. C’est du donnant-donnant, c’est plus logique!