La hausse du chômage des jeunes est accentuée par l’inadéquation des qualifications et l’inefficacité du marché du travail
Les disparités régionales ont engendré une hausse du chômage dans les régions de l’intérieur, qui sont de surcroît les plus pauvres (Graphique 11). Le taux de chômage était supérieur à 20% à Kasserine (21%), à Gafsa (28%) et à Tataouine (24%), alors que la moyenne nationale était de 13% en 2010. Cependant, Gafsa (47%), Sidi Bouzid (41%), Kébili (43%) et Jendouba (40%) ont les taux de chômage de diplômés les plus élevés, contre une moyenne nationale de 23%.
Généralement, en Tunisie, plus le niveau d’études est élevé, plus le taux de chômage est élevé(Graphique 12). Ceci explique pourquoi ces dernières décennies, la pauvreté a davantage baissé dans les ménages non-éduquées (de 32% à 25%) que dans les ménages instruits (environ 15%) .
Ainsi, le chômage touche davantage les jeunes, avec près de 30% de chômeurs parmi les 15-24 ans, et 24% chez les 24-29 ans, contre moins de 4 % chez les 40-49 ans. Le développement de la Tunisie, basé sur des productions intensives en main-d’œuvre, a accru la demande de main-d’œuvre non qualifiée.
Le chômage est plus sévère chez les femmes. Le taux de chômage est plus élevé chez les femmes (19% en 2010) que chez les hommes (11%), et il touche deux fois plus de diplômées femmes (33 %) que de diplômés hommes (16 %). Ces chiffres restent cependant bien en-deçà de la réalité du chômage chez les tunisiennes car elles sont peu présentes sur le marché officiel du travail. Soixante-trois pour cent (63%) des jeunes femmes sans qualifications sont déclarées inactives (contre 9 % des hommes dans le même cas), mais seules 18% des femmes non qualifiées sont estimées être au chômage (contre 20% chez les hommes du même groupe) (Tableau 1). De même, tandis qu’il y a 67 % de plus de femmes qui sortent de l’enseignement supérieur (2008-2009), seules 25 % sont présentes sur le marché du travail. Même parmi les femmes de 20 à 29 ans, moins de 35% y sont présentes. Cette tendance paradoxale suggère l’existence d’une forme de forte discrimination sur le marché du travail contre les femmes. Il y a également lieu de souligner qu’en dépit de leur part croissante parmi les diplômés, 16% des femmes de la tranche 25-29 ans et 24% des femmes de la tranche 30-34 ans sont analphabètes, contre 6% et 8% respectivement, chez les hommes.
Ainsi, bien que la situation soit relativement meilleure en Tunisie que dans d’autres pays arabes, la performance en matière d’égalité des sexes est nettement en-deçà des normes internationales (la Tunisie ayant obtenu une note de 49 sur 100 en indice de l’égalité du genre), plus élevée est la note, meilleure est la performance, et ce en raison essentiellement de la faible participation des femmes à l’activité économique (note 33,5) et aussi pour les questions d’autonomisation (empowerment) (note 18,6).
Il existe une inadéquation considérable de qualifications entre l’offre et la demande du travail.
Par le passé, la majorité des étudiants diplômés étaient employés par le secteur public, qui absorbe aujourd’hui encore la moitié des diplômés en sciences sociales, sciences exactes, médecine et pharmacie. Le secteur privé n’emploie qu’environ un tiers des diplômés en économie, gestion et droit et des techniciens supérieurs, filières qui comptent le plus de chômeurs : 46 % en ce qui concerne les diplômés en économie, gestion et droit, et environ 40 % pour les techniciens supérieurs (Tableau 1).
Le secteur privé emploie en fait plus de la moitié des jeunes sans qualifications et du niveau secondaire, et près de 60 % des ingénieurs. Le décalage entre la structure économique tunisienne restée au stade des productions intensives en main-d’œuvre non qualifiée d’une part, et la production massive de l’offre de travail hautement qualifié d’autre part, explique en grande partie la faible élasticité de l’emploi à la croissance (estimée à 0,43-0,47). Il faut néanmoins noter que, bien que la Tunisie souffre d’un accroissement du chômage des diplômés, «la main-d’œuvre inadéquatement éduquée» apparaît parmi les facteurs les plus problématiques des affaires (GCR 2011-2012). Ceci explique en partie la forte élasticité de la substitution des emplois entre les diplômés et les non diplômés dans les secteurs industriels, notamment dans la mécanique, l’électronique, l’agroalimentaire et le textile.
Ainsi, 62% des entreprises tunisiennes interrogées se plaignent de difficultés à recruter des travailleurs qualifiés (2010), en particulier pour les PME et les entreprises totalement exportatrices. Ceci souligne une offre de travail inadéquate, en particulier dans les secteurs du textile (32%) et de la santé (34%).
Selon la même enquête, plus le niveau d’études d’un nouvel employé est élevé, plus il lui faut de temps pour devenir opérationnel (Tableau 2). La qualité de l’enseignement est également considérée comme facteur contribuant à l’inadéquation de l’offre des compétences sur le marché du travail. Le système éducatif tunisien est considéré relativement faible comparativement aux pays de l’OCDE et aux PRI comparables. La politique du libre accès à l’éducation pour tous a été promue au détriment de la qualité de l’enseignement.
Tableau 2 – Nombre de semaines requises pour rendre un nouvel employé opérationnel
La rigidité des règlementations du marché du travail limite la rotation et accroît la précarité de l’emploi. Le marché du travail tunisien est considéré comme relativement restrictif et inefficient au regard des normes internationales. En « Doing Business 2010», la Tunisie est classée 108ème sur 183 pays en ce qui concerne l’indicateur «employer des travailleurs», et 106ème sur 142 pays dans le GCR s’agissant d’«efficacité du marché du travail». Depuis les révisions du code du travail de 1994 et 1996, les règles de recrutement ont été assouplies par l’introduction d’un régime plus flexible, prévoyant des contrats à durée déterminée et à mi-temps. Néanmoins, la législation sur le licenciement est rigide et fortement contrôlée.
Malgré l’existence d’une disposition sur le licenciement pour raisons économiques et techniques, son application est restée limitée en raison du coût de transaction élevé pour les entreprises, due à l’incertitude des procédures administratives et juridiques. En 2007, seuls 5,4% des travailleurs licenciés l’ont été pour raisons économiques ou techniques. Le montant de l’indemnité de licenciement est similaires à d’autres pays, mais bien plus élevés aux pays comparables ou même à certains pays de l’OCDE lorsque le licenciement est considéré comme abusif.
L’incertitude ex-ante du montant de l’indemnité est donc également une contrainte pour les entreprises. La rigidité des dispositions relatives à la rupture des contrats réduit la rotation de la main-d’œuvre. Alors qu’une forte mobilité de la main d’œuvre est généralement associée à une transition structurelle de l’économie vers des activités plus productives, le nombre de licenciements n’a représenté que 0,3% du nombre total d’emplois entre 2002 et 2008, contre 10% dans les pays de l’OCDE. Ceci implique que les chercheurs d’emplois font face à une longue durée pour trouver un premier emploi ou entre deux emplois : pour la moitié d’entre eux, la recherche a duré entre 10 et 24 mois.
De plus, la rigidité de la règle de licenciement accroît paradoxalement l’insécurité de l’emploi. L’emploi dans le secteur informel représente 54% de l’emploi et plus de 40% des diplômés ont comme premier emploi un contrat à durée déterminée. Les secteurs qui sont les plus tributaires de la situation du marché international et de la demande saisonnière adaptent leur offre en recourant à un système de postes non permanents. Dans le secteur textile, seuls 45% des emplois sont permanents, et seulement 35% dans l’hôtellerie (en 2010). Une plus grande souplesse et une réglementation plus transparente de licenciement pourrait accroître la création d’emplois formels et permanents, comme les entreprises intégreront moins de coûts associés aux risques de licenciement dans leurs politiques de recrutement. Il y a un arbitrage à faire entre une réglementation restrictive de licenciements et la création d’emplois. Le gouvernement pourrait par ailleurs mitiger les effets d’une réglementation plus flexible de licenciement à travers des indemnités chômage ciblés.
Source : BAD