Lamia Debbabi : la notion complémentarité dans l’ART28 est contradictoire avec l’égalité

femmes-14082012-460-l.jpgUne
femme de tête et de caractère qui s’est affirmée dans le milieu des juristes
tunisiens par sa consistance intellectuelle, son engagement pour le pays et son
militantisme pour la cause féminine qui n’a aucunement altéré sa féminité ou
amoindri son rôle de femme ou de mère. Il s’agit de Me Lamia Debbabi, présidente
de l’Association tunisienne des Femmes Juristes.

Entretien à propos de l’article 28 proposé par la commission des Droits et des
Libertés à la constituante et se rapportant au droit des femmes.

WMC : Avant d’aborder les articles 21/22 et 28 touchant aux droits des femmes,
pourriez-vous nous donner votre opinion sur le préambule proposé pour la
Constitution. Estimez-vous qu’il sacre les libertés?

Me Lamia Debbabi : Je ne voudrais pas condamner le préambule tel que présenté
dans sa version actuelle en totalité, il comprend beaucoup de points positifs.
Toutefois, le problème réside dans la formulation des textes qui n’est pas
juridique, ce qui risque d’entraîner une confusion néfaste pour le reste des
textes. Ce que nous pouvons également reprocher au préambule, c’est qu’il
néglige la dimension méditerranéenne et africaine de la Tunisie occultant une
partie importante de son histoire et une dimension aussi importante de sa
géographie et qui en fait un pays possédant des spécificités qui le
différencient des autres pays arabo-musulmans. La question qui se pose est
pourquoi l’accent a été mis sur l’appartenance de la Tunisie à l’aire maghrébine
et arabe et non pas à son positionnement géostratégique au sommet de l’Afrique
et en face de l’Europe?

Une autre remarque que nous pourrions faire est que les conventions
internationales ratifiées par la Tunisie et en rapport avec les droits de
l’homme n’ont pas non plus été citées dans le préambule.

S’agit-il d’un oubli volontaire ou d’une omission par inadvertance?

Pourquoi les articles 21/22 et 28 du Code des droits et libertés ont-ils suscité
autant de polémique, d’après vous?

En tant qu’association, nous n’avons pas encore consulté le draft final de la
commission des Droits et Libertés à la constituante. Toutefois, lors de la table
ronde que nous avons organisée jeudi 9 août en présence de Me Farida Laabidi,
présidente de la Commission, nous avons pris connaissance de quelques
propositions d’articles en rapport avec les droits des femmes.

Ces articles ne peuvent en aucun cas préserver ou consolider les droits et les
acquis des femmes. Première remarque, l’article 22 prévoit l’égalité des
citoyens devant la loi et non dans la loi, ce qui revient à dire que la loi
s’applique de la même manière à tous les citoyens mais que les citoyens ne sont
pas nécessairement égaux dans la loi et peuvent ne pas bénéficier des même
droits et ne pas être soumis aux mêmes devoirs.

Qu’en est-il de l’article 28?

Cet article où il est stipulé «l’Etat assure la protection des droits de la
femme, de ses acquis, sous le principe de complémentarité avec l’homme au sein
de la famille et en tant qu’associée de l’homme dans le développement de la
patrie» a suscité autant de remous parce qu’on y mentionne une notion archaïque
à savoir la complémentarité des rôles des époux. La femme n’existe donc qu’en
tant que mère ou épouse ou encore en partageant les mêmes responsabilités, mais
sans pouvoir exercer les mêmes droits.

Or cette notion est même contradictoire avec ce que stipule le préambule de la
Constitution qui parle, lui, d’une égalité entre les citoyens et les citoyennes.
Les articles d’une Constitution ne peuvent et ne doivent en aucun cas être
contradictoires. Les textes doivent être clairs pour éviter toute confusion dans
leur interprétation, ce qui pourrait mener à une discrimination à l’encontre des
femmes. Sans oublier que l’égalité qui représente un principe fondamental des
droits de l’homme et qu’il coule de source qu’elle doive être sacrée dans la
Constitution.

Le législateur pourrait se suffire de l’article 22 et annuler le 28 à condition
de lever l’ambiguïté dans la formulation en remplaçant le terme « égaux devant
la loi » par « Egaux dans la loi ». A partir de ce moment, l’article 28 n’aura
plus lieu d’être.