Grisés
par le pouvoir, les nahdhaouis ont organisé de manière ostentatoire, dans un
hôtel 5 étoiles à Gammarth (banlieue nord de Tunis), un Iftar somptueux digne
des “Mille et une nuits“ auquel ils ont convié plus de 1.000 personnes non pas
parmi les plus indigentes du pays comme le veut la tradition en ce mois saint
mais bizarrement parmi les plus riches et des corrompus du temps de Ben
Ali.
Officiellement, à travers cette bamboche «public relations» qui a coûté la
coquette somme de 60 mille dinars (facture à l’appui),
Ennahdha entendait
améliorer son image auprès des diplomates et des personnalités influentes dans
le pays et favoriser, surtout, des contacts d’affaires entre nahdhaouis et
courtisans riches soucieux de s’approcher du parti majoritaire et de pérenniser
ainsi leurs privilèges.
Néanmoins, de par son timing et au regard de la mouvance sociale que connaît le
pays, pour le commun des gens, cet Iftar, sous-médiatisé malheureusement, est le
moins qu’on puisse dire scandaleux, indécent et choquant.
Le pire c’est que ce festin digne de dictatures conquérantes d’antan a été
organisé, au moment même où la police réprimait de la manière la plus sauvage de
pauvres indignés du sud du pays descendus dans la rue pour clamer, haut et fort,
leur ras-le-bol et protester, légitimement, à Sidi Bouzid, à Thyna (Sfax), et à
Chebba (Mahdia) contre des dysfonctionnements générés par le mauvais rendement
du gouvernement.
Il s’agit des criminelles coupures d’eau et d’électricité, en ce mois de Ramadan
et en période de canicule, la cherté de la vie favorisée par l’incapacité du
gouvernement à maîtriser les circuits de distribution aux mains de la mafia des
intermédiaires et contre une bureaucratie qui a empêché de pauvres ouvriers des
chantiers, c’est-à-dire des journaliers qui vivent au jour le jour, de recevoir
leurs modiques salaires (moins que le SMIG) dans les délais.
Ce choc entre l’image d’islamistes triomphants mangeant comme des ogres, et
faisant manger à grands frais de riches Gargantuas et leurs accompagnateurs,
dans un endroit chic, cher et climatisé, et celle de ces Bouzidis en haillons
appauvris, assoiffés à dessein et privés des plus simples commodités (eau et
électricité) est très violent et inacceptable.
Il prouve qu’Ennahdha ne comprend rien à la misère de la population, que ce soit
en période de froid (rappelez-vous la manière scandaleuse avec laquelle ce parti
a géré la neige au mois de février dernier à Aïn Draham) ou en période de
canicule (cet été, qui a coïncidé avec le mois de Ramadan aura été tout
simplement un cauchemar pour les habitants du sud).
Il annonce, à moyen terme, des conséquences désastreuses pour ce gouvernement
nahdhaoui qui se targue, selon les termes de Lotfi Zitoun, ministre conseiller
auprès du chef du gouvernement, d’être «le gouvernement des pauvres».
Ce même Lotfi Zitoun, qui tenait un discours réducteur à l’endroit des Marsois
et des banlieusards-nord de Tunis, lors de l’affaire de l’exposition d’Abdellia,
se complaît, lors de cette ripaille, à rompre le jeûne sur les hauteurs de
Gammarth. Quand on se dit le fils du peuple, on doit donner l’exemple et surtout
être conséquent avec soi-même.
L’Histoire de la Tunisie retiendra, comme un tournant du passage d’Ennahdha au
pouvoir, cet Iftar de la honte, organisé, un certain mercredi 8 août 2012.
Cette même Histoire n’est d’ailleurs qu’un éternel recommencement. La dictature
de Bourguiba et de Ben Ali avait entamé leur trend baissier, voire leur
irrévocable chute à la faveur de pratiques similaires et surtout de douloureux
télescopages entre des mêmes images de grande bouffe, d’un côté, et de précarité
extrême, de l’autre.
Pour mémoire, Bourguiba, pour célébrer son anniversaire, invitait, durant tout
le mois d’août, à Monastir, des troupes de tout le pays et leur faisait servir
pas moins de 7.000 plats par jour alors que les communautés de l’ouest du
pays vivaient dans la misère la plus totale.
Ben Ali a fait autant. Les «walimas» concoctées à l’occasion de la célébration
du changement du 7 novembre, des délibérations budgétaires, des réunions du
Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) étaient de véritables hérésies
gastronomiques et heurtaient tout entendement et bon sens. De mémoire de
journaliste, la bouffe présentée, lors de ces cérémonies, était en quantité et
en qualité telles qu’elle pouvait nourrir des communautés rurales des mois et
des mois.
Moralité:
Ennahdha qui n’a guère contribué à la Révolution du 14 janvier ne peut
être, en conséquence, ni révolutionnaire ni une écoute des préoccupations des
indignés. Assoiffé de pouvoir, de faste et de notoriété, ce parti ne peut que
tomber dans le même piège que ces prédécesseurs illégitimes, le Parti socialiste
destourien (PSD) et le RCD.
L’organisation de cet Iftar, en ce moment précis (l’intérieur du pays en
ébullition) et en cet endroit précis (un hôtel de luxe où on sert en plus de
l’alcool au mois de ramadan), est une erreur politique en ce sens où elle
constitue une illustration éloquente de la coupure entre le peuple et ses
nouveaux gouvernants.
Logiquement,
Ennahdha , tout comme le PSD et le RCD, a commis une erreur
politique qui risque de lui être fatale. Ce parti ne peut que payer, tôt ou
tard, ce mépris pour ce peuple tunisien simple et digne dans son écrasante
majorité. Quant au timing de la sanction, l’Histoire nous le dira.