à Paris (Photo : Patrick Kovarik) |
[30/08/2012 11:32:34] PARIS (AFP) Les investisseurs des pays émergents ambitionnent désormais ouvertement de détourner leurs riches clientèles des Dior, Chanel ou autres Vuitton au profit de leurs propres marques de luxe, mais celles-ci auront besoin de temps pour s’imposer, selon des experts.
“Que ce soit le Qatar ou la Chine, il s’agit de créer une marque qui leur ressemble, avec un souffle, un style moyen-oriental ou chinois, qu’ils peuvent aussi exporter”, explique à l’AFP François Arpels, directeur exécutif de la banque d’affaires Bryan Garnier.
Le fonds Qatar Luxury Group travaille ainsi au lancement d’une marque de luxe, dont le nom, dévoilé par le site Huffington Post, sera Qela. Il oeuvrait déjà depuis plusieurs années à la création d’un portefeuille de grandes marques, qui l’a conduit à acheter en 2011 le maroquinier Le Tanneur.
La clientèle visée sera d’abord celle, très riche, des Emirats avant dans un deuxième temps de partir à la conquête du monde entier.
Jusqu’à présent, ce sont surtout les achats de griffes nées en Europe, berceau du luxe, qui ont attiré les investisseurs des pays émergents.
éfilé Sonia Rykiel automne-hiver 2004/2005 à Paris le 5 mars 2004 (Photo : Jean-Pierre Muller) |
Dernièrement, la maison Valentino est passée dans le giron du même Qatar, qui détient une faible participation dans le numéro un mondial du luxe LVMH et le joaillier américain Tiffany.
La griffe Sonia Rykiel a été rachetée par le Chinois Fung Brands. Auparavant, Escada était tombée dans l’escarcelle de la famille indienne Mittal, et Gianfranco Ferré et Louis Féraud dans celle d’un groupe de Dubai. Lanvin est la propriété depuis longtemps d’une milliardaire taiwanaise, ST Dupont celle du chinois Dickson Poon.
En Chine, un nombre croissant de sociétés veulent créer des marques de luxe autochtones et convaincre les Chinois les plus fortunés de tourner le dos au luxe occidental, à leur profit bien sûr.
La maison Hermès, temple du luxe français, l’a bien compris en lançant fin 2010 Shang Xia, une nouvelle marque qui se veut la vitrine d’un savoir-faire chinois. La griffe, qui se développe “encore mieux qu’espéré” selon Hermès, doit bientôt ouvrir à Paris après Shanghai et Pékin.
– “Mode d’expression culturel” –
éfilé du créateur Qatari Fatma al-Majid, le 25 octobre 2010 à Dubaï (Photo : Marwan Naamani) |
“Le luxe est avant tout un mode d’expression culturel. Il est donc logique que certains pays souhaitent promouvoir des éléments singuliers de leur culture”, analyse Serge Carreira, enseignant à l’Institut d’études politiques (IEP) de Paris.
“D’autant que le luxe est par essence valorisant”, poursuit-il, contrairement au “made in China” à l’image souvent désastreuse.
D’où “la redécouverte de l’art de la soie, de la porcelaine, du bambou, de la laque, propres à la culture chinoise, et qui valorisés, peuvent être des ambassadeurs d’un certain savoir-faire”.
Pour ce qui est de la marque qatarie, elle “pourrait aussi être fabriquée en Europe où il y a un haut niveau d’artisanat, le Qatar gardant la partie conception, design et stratégie”, poursuit M. Carreira.
Ce que le cabinet d’analyse Xerfi appelle le “made with” des pays émergents pour compenser une moindre maîtrise de la chaîne de valeur.
Il cite ainsi le joaillier d’inspiration chinoise Qeelin qui s’appuie sur un savoir-faire français ou celui d’un designer chinois She Ji Sorgere qui souhaite produire en Italie.
Mais n’est pas marque de luxe qui veut. “Il faut beaucoup d’années avec un niveau constant de savoir-faire. Ce n’est pas parce qu’on vend un produit au prix du luxe qu’il est de luxe”, explique François Arpels.
“Si les savoir-faire d’exception sont nécessaires pour une maison de luxe, cela n’est pas suffisant”, renchérit Serge Carreira. “Au-delà du marketing, il faut de la création, de l’innovation … et forger une légende”, estime-t-il.