On ne peut pousser les entreprises tunisiennes à s’implanter à l’international et les priver des marchés publics locaux. L’expérience locale est souvent une référence qui leur sert d’arme fatale dans la compétition. Elle fait la différence. N’est-ce pas qu’il faut faire confiance au pavillon national?
Le Conseil de l’ordre des architectes tunisiens est monté au filet. Une délégation de représentants du Conseil est allée plaider sa cause auprès du ministre de l’Equipement dont le département se propose de réaliser le marché du siècle pour le logement social. En effet, le gouvernement envisage de construire 30.000 logements sociaux destinés aux «économiquement faibles». C’est un marché qui nécessite la mise au point d’un concept de bâtiment bon marché. Le coût ne doit pas dépasser 35 mille dinars. Cela nécessite un gigantesque travail de combinaisons de techniques rapides et de matériaux bon marché.
Le dispositif national, autant en amont, pour les industriels des matériaux de construction, qu’en aval, pour les services liés, à savoir la maîtrise, le pilotage et le contrôle, s’y est investi. Il faut bien se dire que c’est un concept très difficile à mettre au point. Ce genre de pression a été à l’origine des techniques avancées comme le béton prêt à l’emploi ou le préfabriqué.
Et, une fois le concept trouvé, il devient exportable. Et, s’il est conforme aux attentes, il peut servir de visa pour tous les corps de métiers, architectes compris, pour opérer à l’international. La démarche du Conseil tient la route. Ce marché devrait, en bonne logique, leur revenir. Il y va d’une question qui prend une dimension d’intérêt national.
Un chauvinisme national en économie est-il bon pour le système, en général?
La bataille historique entre BFI et la BVMT
Le combat mené par les architectes est général à tous les milieux d’affaires tunisiens. Tous voudraient bien prendre pied à l’international parce que c’est la loi de l’ouverture. Mais l’écrasante majorité ne dispose pas de ce qui pourrait leur servir de bâton de pèlerin. Eh oui, elles ne possèdent pas de références nationales. Les marchés publics peuvent leur servir de sésame, plaident les opérateurs. L’Etat est un client exigeant, c’est connu. Par conséquent, les marchés publics servent de test de «maturité» pour les entreprises tunisiennes, tentées par le large.
La place de Tunis a vécu un combat historique, à cet égard. La Bourse des Valeurs Mobilières de Tunis avait, en 1994, décidé de basculer vers le système de cotation automatique en continu, système en usage sur toutes les Bourses modernes du monde. Là-dessus, une SSII tunisienne s’est proposée de développer un logiciel dédié. La Direction Générale de la BVMT, ne voulant pas prendre de risque, lui a préféré le logiciel qui tourne sur la place de Paris, le fameux Super CAC. Son argument était que, pour lancer une Bourse émergente, il fallait zéro risque. Il faut, par conséquent, acheter le nec plus ultra. BFI a été plus heureuse avec l’Association des banques qui lui a fait confiance pour développer le logiciel de la compensation électronique. Et à l’heure actuelle, le logiciel BFI équipe les banques nationales. Son succès local lui a servi de tremplin pour équiper près de six places sur le continent africain.
La revendication des opérateurs tunisiens n’est donc pas dépourvue de bon sens. N’est-ce pas qu’il faut vaincre sa peur et jouer pour le pavillon national?
Le marché national doit-il rester captif?
Souvent les décideurs ont peur de faire le mauvais choix en favorisant les opérateurs locaux pensant que les risques d’échec seraient désastreux. Qu’importe! Les Indiens ont bien fait confiance à leur constructeur auto national qui a sorti un “concept-car’’ la «Tâta» qu’aucun pays européen n’a voulu homologuer. Et pourtant, elle roule!
Le marché local doit rester accessible à la concurrence. Telle est la loi de l’ouverture. Nous devons jouer le jeu, de manière loyale. C’est incontournable. Mais comme le dit le proverbe, il n’y aucun mal à se faire du bien. Il faut trouver le «juste matching» entre opérateurs étrangers et locaux. Favoriser les entreprises tunisiennes, c’est aider à créer de la croissance; dans le futur, en garantissant une passerelle à l’export. Les Asiatiques sont fervents nationalistes en économie. Et la vie leur a souri. Ils soutiennent que leur performance à l’international vient de ce qu’ils disposent d’une base économique nationale. Ils nous apprennent qu’en cas de conjoncture baissière à l’export, ils peuvent toujours se déployer sur leur base locale.
Alors qu’est-ce qu’on attend? Peut-on faire confiance au secteur du bâtiment national? Le ministère de l’Equipement sait bien que oui. Pour construire les viaducs de la Capitale, on a commencé par le marché test de l’Avenue de la République. C’est un consortium italien, «SNAM–Projetti» qui a remporté le marché. Depuis, tous les autres ouvrages ont pu être réalisés par une entreprise tunisienne, sans le moindre problème, ou presque. Où est donc le risque?