La
campagne orchestrée sciemment par le conseiller politique du chef du
gouvernement à l’encontre de la
presse tunisienne n’a pas cessé de susciter
l’inquiétude des médias, toutes catégories confondues. Les sorties intempestives
de Lotfi Zitoun, les accusant de tous les maux et les traitant «d’iylam
banafssagi», ne sont pas pour les rassurer au sortir du joug d’une dictature où
l’on croyait avoir touché le fond en matière d’asservissement des médias.
Zied El Héni, membre du bureau exécutif du Syndicat national des journalistes
tunisiens (SNJT), a appelé Lotfi Zitoun à démissionner car il y a conflit
d’intérêt. Ce dernier ne cache pas son désir de construire un empire médiatique:
«Il est dans les arcanes de l’Etat et son poste pourrait l’aider à réaliser ses
ambitions, explique M. El Héni. Il est aussi partie prenante dans le secteur des
médias du côté des bailleurs de fonds à Ezzaytoona TV, active quoiqu’il prétende
le contraire”.
Une autre raison qui plaiderait en faveur de son départ est la haine qu’il
affiche à l’encontre des médias nationaux et son désir de les démolir, soit une
menace pour la sécurité et la stabilité du pays et l’intégrité physique et
morale des journalistes.
Qui est le journaliste qui pourrait, aujourd’hui, se sentir serein et exercer
son métier sans crainte de représailles alors qu’une simple dénonciation
pourrait le mener devant le juge? «Si on veut m’arrêter, on pourrait me coller
un délit d’insultes à l’encontre d’un agent public dans l’exercice de ses
fonctions, une contravention routière ou une tenue vestimentaire incorrecte»,
ironise une consœur.
Autant de procès intentés à l’encontre des organes de presse devant une justice
«indépendante, garante des droits de tous les Tunisiens et neutre», relève
presque de l’absurde dans une phase post révolutionnaire. Autant de pressions
d’une rue manipulée délibérément pour effrayer et asservir une presse
nouvellement affranchie de la subordination l’est autant.
Lotfi Zitoun doit démissionner!
Abdelwaheb El Heni du parti Al Majd n’y va pas par 4 chemins, il appelle à la
démission de Lotfi Zitoun, suggérant que le gouvernement Ennahdha est en train
de reproduire le modèle du régime précédant en fabriquant un nouveau Abdelwahab
Abdallah: «S’il faut ouvrir les dossiers sur la corruption des médias, autant
les ouvrir tous. On ne peut pas être permissifs avec certains pour leur
loyalisme et leurs bons services et châtier d’autres parce que leurs
marionnettes ont émis des critiques virulentes vis-à-vis du gouvernement».
Un internaute a d’ailleurs commenté ce qui se passe: «Une justice sélective au
lieu d’une justice transitionnelle. C’est dommage pour la démocratie
tunisienne». L’internaute indiquait par ce commentaire l’affaire Sami El Fehri.
Lotfi Zitoun serait, d’ailleurs, d’après Sami El Fehri, directeur général de
Cactus, qui se serait livré jeudi aux autorités judiciaire, derrière son procès
hâtif et la décision prise par la Chambre d’accusation en un temps record (24h)
de délivrer un mandat de dépôt le concernant”.
Dans la soirée du 29 août, Sami El Fehri a publié une vidéo dénonçant les
pressions dont il a fait l’objet à cause de l’émission «Al Logik Assiassi» : «Au
de là de l’affaire Cactus en justice depuis janvier 2011, il s’agit aujourd’hui
d’une liberté d’expression chèrement acquise et menacée de manière vicieuse,
dit-il. Du temps de Ben Ali, les pressions étaient beaucoup plus directes, on
nous ordonnait d’enlever une émission et d’éliminer des passages dans un
programme. Maintenant, elles sont plus vicieuses, plus pernicieuses. On vous
fait peur, on vous prévient “faites attention, votre situation est fragile, vous
êtes vulnérable“, et ceci est de loin plus dangereux que ce qui se passait
auparavant».
«Rached Ghannouchi, le sacré, l’intouchable»
La dimension sacrée de Rached Ghannouchi ne doit pas être démystifiée, le
représenter par une marionnette est un affront impardonnable… un sacrilège…
indigne de sa grandeur… C’est ce qu’aurait déclaré Lotfi Zitoun au DG de Cactus
dans une communication téléphonique enregistrée et vérifiable selon lui.
L’émission «Al Logik Assiassi», très suivie durant le mois du ramadan, a
d’ailleurs été critiquée par les ministres de la Santé, des Domaines de l’Etat
et même le chef du gouvernement. L’opération coup de poing exécutée par les
douanes tunisiennes dans les locaux mêmes de Cactus et ceux des annonceurs de la
chaîne, n’ayant pas suffisamment convaincu le DG, vulnérable par sa situation
judiciaire «fragile», a été amené à suspendre l’émission, les nouveaux
démocrates ont vu rouge et sont passés à un seuil supérieur de représailles.
Sami Fehri fut donc convoqué à se rendre à la prison la plus proche… La
mandataire judiciaire qui a réussi à maintenir à flot la société de production
Cactus, gardé les postes d’emploi et créé d’autres serait aussi indésirable. Il
est fort possible que l’on nomme une autre personne qui, peut-être, déciderait
désormais de la ligne éditoriale de la chaîne.
A la nomination inattendue d’un directeur général pro-Ennahdha à la tête de Dar
Essabah après un deal qu’on décrirait de «douteux» avec le conseil
d’administration de cette prestigieuse maison de presse, a succédé celle
attendue d’Imen Bahroun, une autre loyaliste à la tête de la télévision
nationale, et ce de l’avis de nombre de fonctionnaires et journalistes de la
télévision.
Pour Reporters sans frontières, la poursuite des nominations arbitraires à la
tête des médias publics est inadmissible et «la mise en place d’une instance
indépendante de régulation des médias audiovisuels est devenue une nécessité
impérieuse». L’organisation a vigoureusement dénoncé la mainmise des autorités
tunisiennes sur les médias publics et le manque de transparence dans le
processus de nomination de leurs responsables…
Mettre les personnes qu’il faut à la place qu’il faut, est-ce en prévision des
prochaines élections?
Pour les médias tunisiens, la volonté politique d’une réelle liberté
d’expression n’est aujourd’hui qu’une illusion. Tous les indices sur terrain
portent à croire que le chemin est encore semé d’embûches. Dans l’attente, la
lutte continue, car le baromètre de la liberté d’expression est encore au rouge.