Une première en Tunisie. Mercredi dernier, un collectif de citoyens a déposé une plainte contre l’Assemblée nationale constituante (ANC) au tribunal administratif de Tunis. Il est reproché aux locataires du palais du Bardo de ne pas respecter l’obligation de transparence. Les plaignants – l’ONG Al Bawsala, l’association Nawaat, et plusieurs membres du collectif OpenGov TN – exigent “la publication des votes des élus, des registres de présence, ainsi que de tous les procès-verbaux, rapports et travaux réalisés depuis le 23 octobre 2011”.
La transparence pour trancher avec les réflexes de l’ancien régime ! Un droit censé être garanti par le règlement intérieur de l’Assemblée constituante tunisienne, et des décrets lois postrévolutionnaires. Mais ces textes ne sont pas respectés. Amira Yahyaoui, présidente d’Al-Bawsala, déclare: “Cinquante ans de dictature, cela laisse des traces. La vraie liberté c’est l’ouverture. Et là on se retrouve devant une Assemblée où l’on ne peut rien savoir”.
Contenus des débats, détail des votes, listes de présence. Son organisation compte pour l’instant sur les coups de main d’élus conciliants pour réunir tant bien que mal des données sur un sitemarsad.tn. “C’est la garantie de la représentativité du peuple. C’est que chaque Tunisien peut savoir ce que son élu a fait ou les autres élus ont fait”, ajoute Amira Yahyaoui.
Les activistes d’Al-Bawsala ont finalement porté plainte après des mois de démarches infructueuses, notamment auprès du président de l’Assemblée, Mustapha Ben Jaafar. Autre plaignante, l’association Nawaat, représentée par Malek Khadraoui. Pour lui, le partage des données est synonyme de bonne gouvernance et de rigueur: “Pour l’instant, on a des soupçons sur un niveau d’absentéisme assez élevé. Au bout de trois absences, il y a une démarche de sanctions qui peut aboutir jusqu’à la radiation du député.”
Les plaignants savent en tout cas pertinemment que la tâche sera compliquée. “La justice n’est pas indépendante, c’est sûr, mais nous avons bon espoir. Ce procès va être très médiatique et nous avons un fort soutien populaire”, déclare Mme Yahiaoui.
Remontée comme une pendule, la présidente d’Al-Bawsala est déterminée à faire appliquer les droits de ses compatriotes. Elle annonce d’ores et déjà qu’en cas de jugement défavorable, le collectif fera appel. Et ne ferme pas la porte à des actions plus radicales si leurs revendications ne sont pas entendues. “On ira jusqu’au bout et on obtiendra cette transparence coûte que coûte”, prévient-elle. D’ici là, la plainte sera sûrement au centre des discussions lors de la rentrée parlementaire, prévue lundi 3 septembre.
Un absentéisme d’autant plus problématique que la rédaction de la Constitution, prévue pour octobre, pourrait avoir plusieurs mois de retard, de l’aveu même de son rapporteur général. Entre-temps, les salafistes tunisiens, déterminés, maintiennent leurs rapports de force avec la population, afin que cette dernière abandonne peu à peu ses valeurs, et courbe l’échine devant le “péril vert”. En ce sens, il faut considérer la Tunisie, entre guillemets, comme un laboratoire du Maghreb “post-printemps arabe”, et ne pas sous-estimer les dangers inhérents à la montée en puissance des salafistes en Afrique du Nord.
Soutenus par des chefs d’AQMI basés au Sahel, les islamistes radicaux sentent bien qu’une fenêtre d’opportunité leur tend les bras, et que leur vision extrémiste fait son lit de la crise économique, du manque de vision politique, ainsi que d’un ras-le-bol généralisé de populations pour lesquelles le bout du tunnel semble encore loin.
C’est là le plus grand danger qui guette la Tunisie, ainsi que les autres pays où les mouvements islamistes radicaux sont en progression : que le peuple laisse faire, qu’il accepte que l’on rogne ses libertés, non par adhésion à l’idéologie islamiste, mais par crainte d’engager le rapport de force, voire par lassitude.
Source : Liberté Algérie