Dans l’histoire des pays, il y a comme ça des rendez-vous qu’il ne faut pas manquer. Celui du tourisme, y compris en période de transition, en est un. Bien qu’un fin politicien ait rétorqué au lendemain du 14 janvier avec un cynisme terrible «en pareil contexte, il n’est pas d’actualité!», faudrait-il préciser que le pays autant que cette transition qui se joue passent inéluctablement encore par le tourisme pour ses retombées financières. Le secteur souffre et on l’hypothèque plus que jamais. …
Ne dit-on pas qu’il y a les bilans des chiffres et celui des actions. En pareil contexte de transition, aspirer à bâtir un lendemain meilleur en proposant une vision et appelant au dialogue et à la concertation devrait être une des principales préoccupations d’un gouvernement issu de la révolution. Mais le ministre du Tourisme tunisien, Lyes Fakhfakh a choisi de mettre profil bas en optant de rester discret et de ne pas faire des vagues. Désormais, il ne peut continuer à faire porter à ses prédécesseurs la responsabilité de la crise que vit le tourisme tunisien. Non pas seulement par l’héritage est pourri mais surtout parce qu’il n’a pas fait grand-chose, lui non plus, pour le sauver.
A force de discrétion, le jeune ministre a confondu l’inaction à la pondération, et les professionnels du tourisme lui demandent des comptes, l’accusant avec son équipe d’assister au délabrement d’un secteur qui reçoit des coups de toutes parts: situation politique fragile, fanatisme qui se propage, qualité de en baisse, environnement qui se détériore, communication inexistante, manque de concertation…
Ce ne sont pas les récentes nominations des certains représentants du tourisme à l’étranger ou l’étrange ouverture de bureaux en Arabie Saoudite qui calmeront les esprits. Loin s’en faut!
Du côté de l’administration, la colère gronde. De nombreuses compétences restent au placard et attendent inlassablement un rendez-vous que le ministre ne veuille daigner accorder. Etrange d’autant respecter les procédures et méthodes qui ont abouti aux résultats que l’on connaît. N’est-ce pas en bousculant l’ordre établi que l’on parvient au moins à changer les mentalités, à remotiver ses équipes, à repérer ses compétences…?
Quelle image peut-on donner quand on connaît si peu ses produits, ses gens, ses potentiels? Quels résultats peut-on exposer avec du mépris envers ses pairs? Comment peut-on réagir à la campagne médiatique menée par un élu français victime de violences quand on est si peu préoccupé par la sécurité de ses compatriotes?
Les images qui circulent des violences, des artistes arrêtés et des journalistes que l’on veut bâillonner ne vont pas aider à améliorer l’image du tourisme tunisien. Les journaux télévisés ont passé en boucle les témoignages de Jamel Gharbi, député PS, agressé à Bizerte par des fanatiques religieux.
Ce qui est regrettable en plus de l’incident -car la violence est condamnable d’où qu’elle vienne-, c’est que le gouvernement, Tourisme y compris et surtout, n’a pas réagi à temps. L’élu sarthois était en vacances dans la région de Bizerte. Les autorités compétentes n’ont pas estimé utile de réagir. Désormais, c’est tout l’Etat tunisien qui s’excuse à plates coutures.
N’est-il pas temps de comprendre qu’en ces temps houleux, l’incompétence s’aggrave et enfle par l’incommunication. Face à l’ampleur des défis et à l’importance de l’enjeu, c’est un luxe que la Tunisie ne peut se permettre.
Dans un contexte marqué par une période de turbulences, le tourisme tunisien ne sert plus que de faire valoir. Il ne sert plus qu’à être un alibi pour crier que l’économie va mieux et que le pays est stable puisque les touristes sont là par une gouvernance actuelle qui ne fait pas de la chose économique son principal cheval de bataille. Or, pour réussir la transition, elle a besoin que l’économie redémarre, et cela passe incontestablement par le tourisme.
Le tourisme est depuis quelques mois la carotte qui fait avancer l’âne. Sauf qu’à ce jeu, c’est le tourisme qui est en train de devenir à la fois l’âne et la carotte. Depuis des mois, les hommes politiques au pouvoir se sont targués de la reprise du secteur, avançant des chiffres positifs par rapport à ceux de 2011. Une façon de noyer le poisson, de tromper son monde et surtout d’entériner la question touristique. Les chiffres de 2011 ne peuvent aucunement être une référence. Pour reprendre les propos d’un expert en la matière: “En une année, nous avons fait un bond en arrière de 11 ans…” C’est tout dire!
La saison 2012 s’achève et les préparatifs pour les fêtes de fin d’année ont déjà commencé. Ils se feront dans la crispation sur fond d’élections annoncées au printemps 2013. Les années d’élections ne sont jamais les meilleures par expérience. On attend avec hantise les répercussions des derniers incidents politico-sécuritaires sur les marchés européens, à commencer par le plus important d’entre eux, à savoir le français qui reste encore en baisse. La destination a réussi à sauver la saison des tours opérateurs français, ils ont de la chance! Les prix affichés sont bas, très bas… Il faudra beaucoup de temps et d’argent pour redresser tout ce gâchis.
Si au Tourisme, un ministre en a chassé un autre dans l’ancien régime, la révolution n’a rien apporté au tourisme ni en termes de gouvernance, de réformes et encore moins en termes d’innovations. La nouvelle feuille de route ne parvient pas à être un évènement de taille; du moins pas encore. Or, il est plus que temps d’agir au lieu de discourir!
Le tourisme va-t-il encore faire les frais de discours vilipendant et d’études qui restent au congélateur? Le ministre du Tourisme va-t-il continuer à prôner la bonne vision en multipliant les plateaux de télévision? L’équipe veillant sur le destin du secteur va-t-elle maintenir les mêmes approches?
Plus encore, Lyes Fakhfakh, en faisant une timide condamnation quand les responsables du parti Ennahdha multiplient les gaffes poussant des opérateurs à l’indignation comme ce fut le cas pour l’élu de la Constituante, Abnou Yaareb el Marzouki, signifie-t-il l’engagement et la protection du secteur? Réagit-il quand un certain Adel Almi, président de l’Association modérée de la sensibilisation et de la réforme, déclare que «le gouvernement retirera les autorisations aux bars»? Exprime-t-il sa position quand Tunisair annonce qu’elle cesse de servir de l’alcool durant ramadhan sur ses vols? En engageant si peu de réflexions, d’actions et d’audace, ne participe-t-il à faire poser ce même regard méprisant sur le tourisme?
Le ministre du Tourisme d’un gouvernement issu de la révolution est porteur d’espoirs. Pardon, devrait l’être. A ce jour, il semble qu’il ne l’ait pas compris, ni lui ni l’équipe qui l’entoure. Est-ce avec ce flegme et ce manque d’enthousiasme, ou est-ce avec ce manque de conscience face à l’opportunité historique que représente la révolution pour activer les changements que la révolution touristique tunisienne se fera?
Aujourd’hui, le secteur a besoin de mobilisation. L’Etat ne peut pas tout faire surtout en pareille période et devant toutes les brèches qu’il a du mal à colmater.
Il porte du tort à un secteur vital, et à force de ne rien faire, il se retrouve dans la peau de l’empêcheur de faire. Il rajoute à l’incapacité de réagir et au manque d’esprit d’initiative de privés désabusés et impuissants.
N’est-il pas venu le temps de casser le poids de l’héritage?