Intervenant dans le débat qui secoue le pays et qui alimente les controverses au sujet de l’échéancier du passage du pouvoir transitoire issu des élections du 23 octobre 2011 à un nouvel ordre constitutionnel stable, Mansour Moalla propose une “feuille de route” de sortie de crise étalée sur trois ans, dont la réalisation serait confiée à un gouvernement d’union nationale.
Dans un article paru dans le mensuel “Leaders”, l’ancien ministère de l’Economie, constatant que trop de temps a déjà été perdu dans de vaines controverses, préconise un scénario réaliste pour sortir au plus vite du provisoire et changer de méthode et de système.
Partant du constat que le gouvernement actuel devait fonctionner durant une année pour établir une Constitution et faire face à l’essentiel des tâches courantes de gestion (jusqu’au 23 octobre 2012) et face aux incertitudes quant à la possibilité d’organiser de nouvelles législatives en 2013, voire plus tard, il met en garde contre le risque de voir se prolonger le provisoire avec son corollaire inévitable en termes d’insécurité en l’absence de lois fondamentales régissant le pays.
Il a aussi rappelé les anomalies structurelles (absence de règlementation adéquate des partis, forte dispersion des voix, “perte” de 1,5 million de voix obtenues par les candidats indépendants et l’abstention de la moitié des électeurs) ayant permis au parti sorti “vainqueur” des élections du 23 octobre 2011 d’obtenir 40% des sièges alors qu’il ne représentait que 20% du corps électoral, et de prendre la tête d’une coalition avec deux partis «de la gauche démocratique».
Il estime que cette Troïka a mal fonctionné du fait des tiraillements idéologiques et des antagonismes personnels, au point que le parti islamiste Ennahdha dirige de fait seul le pays. Toutefois et en dépit de la volonté évidente d’Ennahdha de s’accrocher au pourvoir et de tout faire pour s’assurer une «majorité convenable et confortable» pour appliquer sa doctrine sans avoir besoin de coalition, relève-t-il, l’opposition ne compte pas se laisser faire et se prépare à la «bagarre électorale».
Face à cette situation, plaide Mansour Moalla, il faut changer de méthode et avoir le courage de mettre fin à l’épreuve que vit le pays et qui va être de plus en plus dure pour la population. La vraie solution est de réconcilier les Tunisiens entre eux et la Tunisie avec son destin par la mise en place d’une «feuille de route» à même de permette d’atteindre un tel objectif. Le cœur de la solution consiste à ne plus penser au pouvoir en «partisan» mais en patriote uniquement attaché à sauvegarder l’intérêt supérieur du pays, faute de quoi il faut s’attendre à des lendemains difficiles.
Selon Mansour Moalla, aucun parti n’est sûr de gagner seul toutes les «batailles» électorales en vue, batailles qui ne peuvent que retarder le redressement du pays, soulignant que le pays a donc urgemment besoin d’une période de calme, de paix civile et sociale et d’une alliance solide entre toutes les forces actives du pays. Cette alliance, dit-il, doit reposer sur certaines règles majeures pour pouvoir fonctionner utilement; la première consistant à ne plus poursuivre d’autre objectif que l’intérêt supérieur du pays.
L’intérêt supérieur du pays peut faire l’objet d’un accord général par la mise en place d’une réelle “Union nationale“ comprenant les représentants de toutes les forces vives acceptant de se concentrer sur les problèmes fondamentaux dont l’urgence et l’importance sont reconnues unanimement et qui ne soulèvent pas de difficultés insurmontables pour le travail et la recherche en commun de solutions efficaces, plaide encore M. Moalla. Si cette Union nationale avait existé dès le lendemain de la révolution ou après les élections du 23 octobre 2011, elle aurait permis d’obtenir de bien meilleurs résultats tant au point de vue de la sécurité générale du pays qui ne fait que se dégrader que des réalisations économiques et sociales.
Aussi, préconise-t-il de rompre avec le schéma actuel et d’y substituer un autre qui pourrait, durant une période de 3 ans, éviter l’instabilité et l’insécurité enregistrées depuis fin 2010. Ce schéma, dit-il, consiste à édifier l’Union nationale autour des partis qui acceptent la condition de neutralité politique et des composantes de la société civile capables de jouer un rôle utile dans l’édification d’une nouvelle politique économique et sociale cohérente. Cette Union nationale peut être construite autour d’un gouvernement et d’un “Conseil de la République“.
Le gouvernement d’Union nationale, explique-t-il, est chargé de la gestion du pays en coordination avec la présidence de la République et celle de l’Assemblée constituante. Ce gouvernement doit privilégier l’indépendance et la compétence de ses membres de manière à éviter les interférences des partis politiques. La composition de ce gouvernement doit faire l’objet d’un accord entre toutes les parties ayant accepté la formule de l’Union nationale.
L’accord doit aussi porter sur le programme et les tâches à accomplir, les priorités à respecter et aussi le calendrier à suivre suivant les urgences et les possibilités.
Le Conseil de la République comprendra les représentants politiques des différents partenaires à l’Union nationale qui ont choisi la neutralité et l’indépendance durant leur mandat. C’est ce conseil qui se chargera de l’établissement de la liste des membres du gouvernement avec l’introduction dans ce gouvernement du plus grand nombre possible de techniciens et de professionnels à même de redonner son efficacité à l’administration du pays et à la bonne marche des services publics. Le Conseil de la République est chargé de définir la politique générale du pays et de suivre son exécution par le gouvernement.
La Constitution n’étant pas encore prête et son contenu restant encore inconnu, M. Moalla fait remarquer que ce processus est basé sur le principe du consensus. Il a rappelé qu’en vertu du décret portant convocation du corps électoral pour le 23 octobre 2011 et de l’engagement écrit de dix partis en faveur de la fixation d’une durée d’une année pour la rédaction de la Constitution, le mandat de l’Assemblée constituante se limite à un an.
Or, argumente M. Moalla, le mandat légal d’une année ne pouvant être respecté, il y a lieu de donner la légitimité légale et populaire à ces dispositions, qui résultent d’un accord entre les parties concernées, et ce en soumettant l’accord à un référendum qui doit intervenir aussitôt l’accord conclu. Ce qui vraisemblablement, en ne perdant pas de temps, pourrait intervenir autour du 23 octobre 2012, et le référendum avant la fin de l’année.
Le fonctionnement de l’Union nationale pourrait démarrer avec le début de l’année 2013 avec un mandat de 3 ans. On peut espérer avoir à cette date une Tunisie en état de marche et ayant atteint des performances respectables.
Pour que le nouveau schéma puisse fonctionner normalement pendant cette durée, deux autres dispositions sont à inclure dans l’accord. Il s’agit du mandat de l’Assemblée constituante qui doit être officiellement prorogé jusqu’aux élections en 2016 avec adoption d’une majorité des quatre cinquièmes pour préserver la permanence de l’Union nationale et ensuite de l’accord qui doit stipuler qu’il n’y aura pas d’élections générales, législatives ou éventuellement présidentielles avant 2016, la Constitution ne pouvant guère apparemment être élaborée définitivement avant la fin du mandat légal de l’ANC le 23 octobre 2012.
Faute de pouvoir attendre indéfiniment l’approbation définitive de la Constitution et la fin des travaux nécessaires à l’organisation des élections, qu’ils soient d’ordre législatif (loi sur les partis et loi électorale), ou qu’ils concernent l’organisation des élections; qu’il s’agisse de la haute instance indépendante encore en cours de discussion depuis de longs mois ou des inscriptions sur les listes électorales qui a été insuffisante, pour organiser notre vie nationale et le traitement des affaires du pays. La paix de 3 ans permettra de faire tout cela avec le gouvernement de l’Union nationale. Une seule urgence s’impose: le Conseil de la République et le Gouvernement d’Union Nationale pourraient revoir la liste des membres des conseils municipaux par accord commun en attendant l’établissement définitif de la Constitution et les institutions locales et régionales qu’elle aura définies, ajoute-t-il.
Outre le redressement du pays, la promotion de réformes importantes et la solution à trouver pour limiter le chômage et créer de nouveaux emplois, écrit encore M. Moalla, cette période servira également à rééquilibrer le paysage politique propre à assurer le fonctionnement de la démocratie. Le déséquilibre actuel ne permet pas d’aboutir à une configuration politique permettant une alternance pacifique et démocratique au pouvoir et peut conduire au parti dominant et à la dictature du parti unique, ce fut le cas auparavant. Ce rééquilibrage ne pourra pas se faire dans un climat non apaisé comme c’est le cas actuellement.
Aussi, faut-il donner du temps au temps et laisser aux partis et autres organisations de la société civile l’opportunité d’identifier les problèmes du pays, d’établir des rapports de confiance avec la population et de susciter la plus large adhésion.
Cette période de trois ans, ajoute l’auteur, servira à élaborer dans la sérénité une loi sur les partis politiques et aussi une loi électorale. Ces deux lois sont aussi importantes que la Constitution et lui sont intimement liées. Autant que le rééquilibrage du paysage politique, elles commandent l’installation d’une vie réellement démocratique dans le pays. L’absence d’une loi sur les partis a conduit à une prolifération de ces organismes qui a faussé totalement le jeu démocratique.
Il en est de même en ce qui concerne la loi électorale improvisée et mal conçue pour les élections du 23 octobre 2011 qui a conduit à l’abstention de la moitié du corps électoral et à la «perte» de 1,5 million de voix qui n’ont reçu aucune représentation à l’Assemblée constituante.
Après avoir souligné la nécessité, pour les partis et autres organisations, de réunir les conditions de l’épanouissement et la paix sociale de l’entreprise, l’auteur appelle à mettre un terme à la vague de grèves que le pays subit depuis plusieurs mois et qui constitue un grave problème à résoudre à la faveur de la période de paix de 3 ans.