L’économie, exprimée en termes simples, est un ensemble d’équilibres: un certain équilibre entre production et consommation, entre épargne et investissement, entre exportations et importations, entre endettement et capacité d’endettement (et donc capacité de remboursement), etc. Globalement, il existe aussi un autre équilibre important, c’est celui entre l’économie réelle et l’économie monétaire et donc entre les besoins de l’économie en monnaie (liquidités) et la quantité de monnaie (masse monétaire ou liquidités) effectivement mise à la disposition de l’économie. Un déséquilibre entre ces deux éléments, surtout s’il est durable, se traduit soit par de l’inflation (en cas d’excédent de liquidités), soit par un étouffement de l’économie sous forme de déflation (en cas d’insuffisances de liquidités). D’où l’importance de la politique monétaire dans toute gestion saine d’une économie.
Où en est notre économie du point de vue de ces équilibres?
Les indicateurs révélateurs de ces équilibres (ou déséquilibres) sont en train de se détériorer de manière inquiétante. Citons quelques exemples:
– La consommation augmente à un rythme de 7 à 8% alors que la croissance (production) est négative ou insuffisante. Cette augmentation s’est traduite, forcément, par une augmentation des importations de produits de consommation.
– Comme en économie tout est lié, nos exportations ne progressent que faiblement (en fait la progression serait même négative si l’on exprimait le montant des exportations en devises et non en dinars tunisiens) alors que nos importations flambent. Le résultat est que le déficit commercial augmente de plus de 50% en une année et le déficit de la balance des paiements courants passe tout simplement au double.
– Nos réserves de change baissent du tiers, malgré les nouveaux crédits extérieurs contractés.
– L’endettement extérieur s’inscrit en nette hausse pour se situer à plus de 50% du PIB.
– L’investissement, aussi bien intérieur qu’extérieur, traîne le pas (surtout si l’on exclut l’investissement dans les hydrocarbures qui n’impacte que faiblement l’emploi).
– Le taux de chômage global se situe à plus de 18%, alors que celui des jeunes diplômés de l’université dépasse les 30%.
– L’inflation persiste et se maintient autour de 5,8% alors que le taux d’intérêt réel (taux d’intérêt nominal – taux d’inflation) est négatif, d’où la baisse de l’épargne.
– Le taux d’épargne qui s’est toujours situé autour de 22% du PIB se détériore brutalement pour ne représenter que 16% du PIB. Cette baisse impacte évidemment l’investissement qui chute et l’endettement extérieur qui augmente rapidement ;
– Le déficit budgétaire est prévu à 6,6%, avec une forte possibilité de dérapage qui pourrait le porter à 8%, voire plus ;
– On commence maintenant à évoquer la possibilité d’une dévaluation de la monnaie nationale, qui pourrait en fait bientôt devenir inévitable. Il est utile de rappeler à ce propos que la monnaie n’est que le reflet de l’économie. Si l’économie va mal, la monnaie nationale ne peut que se déprécier. Mais si l’économie va très mal, même une dévaluation ne serait pas suffisante pour redresser la situation.
– Le système bancaire et financier (et notamment les banques publiques) connaît d’énormes difficultés. Il est recommandé de consulter à ce propos le rapport du FMI n°12/241, août 2012, relatif à l’évaluation de la stabilité du système financier tunisien.
– La Tunisie est déclassée par les agences de notation (BB) jusqu’à figurer parmi les pays de la catégorie «speculative grade», ce qui est de nature à rendre plus difficile et plus coûteux tout recours à un financement extérieur.
Ce constat n’est en fait ni pessimiste ni optimiste. Il se base exclusivement sur des faits, et des données chiffrées.
Il faut souligner que malgré cela, l’économie tunisienne n’est pas en situation d’effondrement. Elle tient encore. Elle est encore debout.
Ce sont les fondements, ou ce que les économistes appellent les fondamentaux, qui se détérioreront, rapidement.
Il est donc devenu d’une urgence extrême de prendre les mesures nécessaires pour redresser la barre à court terme, et engager des réformes profondes dans plusieurs domaines pour éviter que l’économie tunisienne ne foute réellement le camp de manière durable.