Alors
qu’il était en campagne électorale, dans ses discours
Rached Ghannouchi revenait
souvent sur les difficultés que rencontrent les jeunes face au mariage. Depuis
des mois que son parti est au pouvoir, il a été un peu bousculé par quelques
autres priorités et donc a mis près de quatorze mois pour revenir à
l’organisation de mariages collectifs via notamment une des associations
caritatives proches du parti, l’association “Afef“, la vertu.
«La vertu est une valeur que nous sommes fiers de retrouver en ces temps
nouveaux. Afef est une des revendications de la révolution», dira Abdelkrim
Harouni, ministre des Transports au micro de l’animateur d’Al Jaazira, la chaîne
qui a retransmis le mariage collectif en direct. «Cette association est au
service des Tunisiens et elle fait la différence entre ceux qui sont au service
du peuple et ceux qui se jouent de lui», commente de son côté le ministre de
l’Agriculture.
Samedi dernier (8 septembre), quelque 25 couples des jeunes ont donc été mariés
en grande pompe sous l’œil attendri d’une partie du gouvernement tunisien. Un
mariage retransmis en direct sur la chaîne Al Jaazira. Faut-il juste présenter
ses félicitations aux jeunes époux ou s’offusquer du voyeurisme d’un média
étranger? Quelles sont les motivations de la chaîne pour retransmettre pareil
événement? Quelle image du pays donne-t-on à l’extérieur?
Quel est le rôle des médias, fortement critiqués par
Ennahdha et les membres du
gouvernement quand l’actualité retient leur attention sur plus de 50 Tunisiens
qui sont morts dans une tentative d’immigration clandestine? Les médias
doivent-ils applaudir des pratiques venues d’un autre temps et qui étaient
autant que les circoncisions d’ailleurs pratiquées par le régime déchu mais plus
discrètement?
Pousser la «solidarité» jusqu’à l’organisation d’un rassemblement dont la fête
est absente est un exercice qui mérite de la mobilisation, des revenus, du
sponsoring… Un privilège que ne peuvent se permettre beaucoup d’associations et
dont il faut creuser les financements.
D’ailleurs, l’association «Afef» parle de s’attaquer bientôt aux logements pour
les heureux mariés. Tout un programme! Espérons que les prochains rendez vous
matrimoniaux ressembleront un peu plus à des fêtes. La cérémonie en question
ressemblait si peu au sens que se font les Tunisiens des mariages même dans les
milieux conservateurs!
A ceux qui se demandent si des clauses interdisant le divorce sont comprises
dans le forfait, il faudra attendre pour recevoir la réponse. Quoique chez
Ennahdha on ne divorce pas ou peu. C’est facile, on laisse de côté l’épouse et
on en prend une autre! Merci qui? Merci
Ennahdha et son projet de société pour
la Tunisie. Au moins cette soirée a rajouté 25 complémentaires qui doivent être
heureuses… mais pour combien de temps?
Le dernier mariage collectif d’Ennahdha s’est tenu le 25 juillet 2011. 7 couples
d’heureux tourtereaux avaient convolé en justes noces. La fête avait duré deux
heures et provoqué une polémique. Désormais au pouvoir, le parti persiste et
signe. Pourquoi se priver si l’on peut se rendre service et tenter de faire
briller son image en rendant les autres plus heureux? Il va de soi que ces
pratiques, outre le fait d’être à mille lieues de nos coutumes, auraient imposé
de préserver la dignité des gens à qui on prétend venir en aide. Ceci bien
entendu aurait exclu toute dimension politique de cette œuvre caritative.
Reste à savoir depuis quand un gouvernement s’affiche ainsi à des mariages? Ces
événements seront-ils comptabilisés dans leur bilan, PR, future campagne
électorale, ou est-ce juste du populisme d’un goût douteux? A moins que cela ne
soit une réponse à la campagne «Ikbess» qui demande des actes concrets.
Ennahdha a donc trouvé un moyen pour reconduire la brillante idée de se
rapprocher de ses bases les plus jeunes afin de ne pas laisser ses concurrents
progressistes, et autres «ennemis de la révolution» accaparer la jeunesse
révolutionnaire.
Considérés comme des promesses, ces mariages collectifs séduisent des jeunes
épuisés par la misère en leur rappelant que leur corps a des besoins et que
l’horloge biologique est en marche. Jouer sur les besoins naturels de jeunes
fougueux relève d’une certaine forme de perversité.
Faute de répondre aux attentes de la jeunesse par un programme politique et
économique, Ennahdha propose une autre façon d’enclencher l’action. Peut-être
qu’à force de coups médiatiques de ce genre, ce parti finira par établir une
stratégie qui résoudrait plusieurs problèmes urgents de la jeunesse. Pour le
moment, voici venu le temps de voir la Tunisie transformée en une vraie capitale
du mariage. C’est idéal pour calmer les esprits, faire travailler les PME et
remplir les hôtels de forfaits «voyage de noces». Qui dit mieux?