Tunisie – Un gouvernement d’Union nationale… Pourquoi faire?


economie-2452454.jpgProposer
de sauver l’économie, pour résoudre une crise politique et institutionnelle, est
nécessaire. Mais insuffisant et peut-être même décalé! Il faut recadrer
l’initiative. Comprenne qui voudra mais, l’instant est éminemment politique. Il
appelle une initiative politique.

De partout fusent les initiatives appelant à la formation d’un gouvernement
d’union nationale. Toutes proviennent de personnalités politiques de
l’opposition ou d’indépendants. Le gouvernement fait encore la sourde oreille,
plongeant le pays dans l’expectative. On devine que l’opinion, ne serait-ce que
par curiosité, aimerait s’instruire de la réponse du gouvernement. Le bon
peuple, c’est-à-dire vous et moi, ne sait trop ce qu’il faut penser de la
finalité de ces initiatives.

La dernière en date est celle de Mansour Moalla. L’ancien ministre des Finances,
lequel s’en est expliqué à la télé, jeudi 6 courant.

Comment replacer cette démarche dans le contexte actuel?

Une trêve de trois ans! L’esprit du “New Deal“ de Roosevelt

On ne revient pas sur le passé et les faits d’armes de ce poids lourd du service
public et figure illustre de l’état de l’indépendance. Il a pris le risque de
sortir de sa réserve et d’intervenir dans le débat public. Il a lui-même
décrypté sa lecture du contexte actuel.

Sur quoi cale-t-il son initiative? La crise actuelle peut conduire le pays à une
impasse, soutient-il. Le sentiment patriotique recommande à tous de gommer leurs
différences afin d’éviter au pays un naufrage. Le pire n’est jamais sûr, mais il
n’en est pas moins plausible. Alors prenons les devants, prévient-il.

Le mode opératoire est sans surprise. Un deal patriotique, un «Grenelle» social
pour geler les revendications pendant trois ans. Il pense qu’une abstinence de
revendications laisserait toutes ses chances à l’économie pour retrouver ses
repères et se remettre en route. Voulant faire d’une pierre, deux coups, avec le
mémorandum de trois ans, il pense donner le temps nécessaire aux constituants
pour écrire la Constitution avec ce qu’il faut de sérénité.

Mansour Moalla est un homme d’Etat, mais pas martial, il n’est pas Napoléon. Ce
dernier apostrophait ses généraux en commençant par leur dire «Tout me demander
sauf du temps». Ni l’économie ni les
constituants ne manquent de temps. La
première (l’économie) manque de souffle. Et les seconds veulent nous imposer un
contre-projet au modèle citoyen.

Quelle riposte au déficit de performance de l’économie: la «vérité des prix» ou
la rupture?

Houssine Dimassi, ministre des Finances démissionnaire du gouvernement Jebali,
avait appuyé l’initiative de Mansour Moalla et a étayé son attitude par les
priorités du moment.

La réforme de l’enseignement, parlons-en. Il est vrai que l’Université met
l’ascenseur social en panne provoquant un grippage insoutenable. Nos universités
sont parmi les dernières de la classe. Cependant, la réforme avec la promotion
de pôles de compétitivité, tel El Ghazal ou El Fejja Monastir, de même que celle
de Sidi Thabet, est en route. Pourquoi ne pas la réactiver? D’autant que c’est
une réforme qui va dans le sens pris par les plus grandes économies du monde.

A l’heure actuelle, le tandem université-entreprise est incontournable. On
enseigne les technologies et on «fabrique» de l’innovation, sinon point de
salut.

Le déficit des caisses sociales
n’est pas une surprise non plus. Elyès Jouini
(ancien ministre de l’Investissement et de la Coopération internationale) avait
tiré la sonnette d’alarme depuis 2011 à l’occasion de la publication d’une étude
sur les régimes complémentaires commanditée par un assureur de la place. La
Caisse de compensation, avec un total de 6 MDT, devient un boulet pour le
budget; c’est également de notoriété publique. Niveler la Caisse et aller
progressivement vers la vérité des prix, c’est s’exposer à aller vers des
réajustements mécaniques des salaires.

Et puis la dynamisation de l’investissement public, c’est du Roosevelt
réchauffé.

Pour ces trois secteurs, on approche du seuil critique, cela ne fait pas de
doute. Il faut agir et vite, c’est indiscutable. Est-ce la panacée?

Ouvrir les yeux sur le quotidien du bon peuple

Les points d’ancrage des initiatives de l’opposition ne sont pas assez incisifs.
A l’heure actuelle, le bon peuple a des soucis, au quotidien. Il a des
difficultés pour joindre les deux bouts et pour se nourrir. Venir l’assommer
avec des lieux communs, ce n’est peut-être pas la meilleure façon de le
soulager. Dans les villes, les gens n’en peuvent plus de voir les prix flamber.
Dans les régions de l’intérieur, on attend de voir se concrétiser la
décentralisation. Leur proposer pour toute solution de rétablir la vérité des
prix, alors qu’il s’agit de corriger un déficit de gouvernance publique, c’est
décalé.

Quand on sort d’une révolution, on a une seule solution en tête, la rupture. On
veut voir du neuf. On veut voir un nouvel ordre économique et social. Celui que
l’on nous prépare n’est pas du tout conforme à nos attentes. Alors venir avec
des recettes de réforme de bon sens, quand bien même les périls sont grands,
n’est pas du tout dans l’esprit du moment.

Les contreperformances de l’économie, on n’en meurt pas, après tout. Il y a bien
eu le FMI en 1986 (Plan d’ajustement structurel). On en est sorti plus fort.
Mais on ne peut pas se relever d’un projet de société archaïque et qui bride les
libertés. Les auteurs des initiatives disent qu’il faut du courage pour dire la
vérité au peuple.

Commencez par trouver une parade au projet de société qui se met en route et qui
ne va pas du tout dans le sens de la citoyenneté. Commencez par imposer qu’on
libère les esprits, l’économie suivra.