Le président de la République n’a pas totalement tort en disant être scandalisé de l’image donnée sur la Tunisie dans les médias français. Mais le gouvernement n’est-il pas, en partie, responsable?
«Accablé, scandalisé, blessé, indigné par l’image qu’on y donne de la Tunisie». Le message du chef de l’Etat, Mohamed Moncef Marzouki, délivrée dans une interview au quotidien français Le Figaro, le 9 septembre 2012, est clair, net et précis.
Et il n’a certainement pas tout à fait tort. Les débats sur le NOMIC (Nouvel Ordre Mondial de l’Information et de la Communication), qui ont fait fureur dans les années 70, qui ont montré un véritable parti pris des médias occidentaux dans le traitement de l’actualité mondiale, sont là pour le rappeler.
Les travaux de Noam Chomsky et Edward Harman sur «La fabrication du consentement, de la propagande médiatique en démocratie» (Contre-feux, Agone, 1988, 565 pages) montrent, pour leur part, que les médias du Nord sont en fait de véritables outils de propagande.
Avançant avec des œillères, ils donnent des faits les lectures qu’ils souhaitent et décrivent, par de multiples procédés, des réalités qui sont loin d’être neutres étant souvent au service de la pérennisation d’intérêts politiques évidents et de modèles économiques dominants.
Un héritage des plus détestables
Reste que la Troïka tunisienne semble quelquefois pouvoir aider les médias à donner une version des faits que les médias propagent. Certes, les choses ne sont pas toujours –loin s’en faut- faciles. On oublie souvent que la Troïka se doit de gérer un héritage des plus détestables (un pays qui a vécu pendant presque un demi siècle en marge de la démocratie avec un déséquilibre régional des plus criards) dans un contexte international des plus difficiles aussi bien politique (printemps arabe) qu’économique (récession mondiale).
Mais, la Troïka ne cesse de cumuler des désagréments, pour ne pas dire plus, qui ne renvoient pas toujours une image reluisante. Décrite du moins ainsi par de nombreux observateurs étrangers qui suivent l’évolution des événements dans un pays d’où est parti le printemps arabe et dans lequel un pouvoir islamiste s’est installé démocratiquement.
Mais qu’elle est l’image renvoyée par la Tunisie aujourd’hui? Force est de remarquer, et sans exagérer, le pays offre, entre autres, une image en trois dimensions: un pays qui passe par des difficultés économiques et qui est, par certains aspects, déprécié (baisse de la notation et déclassement de la Tunisie au palmarès établi par le Forum économique de Davos); des tensions politiques souvent aiguës au sein même de la coalition au pouvoir, la Troïka; des menaces pour les libertés («complémentarité» homme-femme, montée –quelquefois violente- du salafisme et tolérance quant au port du niqab à l’université).
S’intéresser à une certaine actualité
Des thématiques, il est vrai, que les médias occidentaux –dont français- mettent volontairement en exercice parce que constituant, entre autres, des thématiques de proximité (le monde occidental est en récession, des otages français sont détenus par des extrémistes religieux et le niqab continue à être un sujet de préoccupation). La théorie de l’«Agenda Setting» (voir Judith Lazar, 1992, “La science de la communication” PUF, QSJ, 2634, p. 30 et 119), défendue par Mc Combs et Shaw, nous dit que les médias font sciemment de braquer leur intérêt sur certains événements en négligeant d’autres. Obligeant les consommateurs à s’intéresser à une actualité par rapport à une autre!
Reste que ces thématiques sont souvent bien présentes. Il est à remarquer, dans le même ordre d’idées, et ce n’est pas une idée nouvelle, qu’en faisant preuve d’erreur de communication ou du moins de déficit de communication, le gouvernement ne réagit pas, sans doute, assez efficacement pour renverser la vapeur. Et balayer des images que les médias grossissent. Ce qui ne constitue pas toujours une exception en la matière: les médias ne s’intéressent jamais, comme on le dit, aux trains qui arrivent à l’heure!
Le récent épisode du naufrage de Lampedusa en est, peut-être, un exemple. Ce serait, à ce propos, faire un procès d’intention au gouvernement que de dire qu’il ne se préoccupe pas du sort des Tunisiens qui ont émigré illégalement en Italie. Nous ne pouvons le faire. On sait qu’il a réagi assez vite. Dès le début de l’affaire. Mais l’a-t-il fait bien savoir? Il était sans doute utile d’occuper massivement dès les premiers instants le terrain médiatique. Pourquoi avoir somme toute tardé, par exemple, à annoncer la mise en place d’une cellule de crise? Tout le monde devine que celle-ci a été créée dès que les premières informations sont parvenues aux autorités tunisiennes.