Dans cette 3ème et dernière partie, Néjib Chebbi réagit, entre autres, aux déclarations de certains membres de la Troïka sur l’éventualité qu’ils restent au pouvoir aussi longtemps que possible; il donne son opinion sur la crise de confiance qui règne dans le pays; et parle des autres partis politiques (Nida Tounes, Al Joumhouri et Al Massar) pour souligner enfin que l’alliance entre les forces démocratiques est une nécessité impérieuse.
Lorsque les hauts responsables gouvernementaux et ceux de la Troïka déclarent haut et fort qu’ils restent au pouvoir et ne se décident pas à fixer définitivement la date des élections, à quelle issue devons-nous nous y attendre d’après vous?
Je pense que toutes ces déclarations que nous entendons ici et là sont une fuite en avant. Vous citez des déclarations verbales mais aussi il faut relever des actes concrets dans le fait que la majorité prend des mesures pour renforcer son emprise sur l’Etat. Le moins qu’on puisse dire c’est qu’elle est habitée par une véritable inquiétude. Elle se sent de plus en plus isolée et réalise la difficulté de la situation. Rien qu’en économie, les perspectives pour une reprise paraissent presque inexistantes aujourd’hui. La majorité est donc en difficulté et cette conscience pourrait aider à un réajustement de son actuelle démarche.
La difficulté de la situation actuelle du pays, la conscience de la majorité de sa fragilité et de son isolement, la pression que pourra exercer la société civile et les propositions constructives que pourront faire les formations politiques, pourraient ouvrir une perspective positive au pays et lui donner de la visibilité, un échéancier pour que tout soit fixé dans le cadre de la liberté et de la démocratie.
Comment comptez-vous parer à la crise de confiance entre le peuple et les politiques qui n’arrivent plus à lui donner du rêve ou à le rassurer sur l’avenir?
La crise n’est pas seulement celle de la majorité, mais aussi celle de l’ensemble de la classe politique. Les Tunisiens ont l’impression d’avoir été floués par la Troïka. Ils ont le sentiment qu’on leur a menti, qu’on a trahi les promesses qu’on leur a faites. Ils ont également l’impression que l’opposition n’offre pas une véritable alternative et qu’elle défend ses propres intérêts face à la majorité. Evidemment je ne peux pas partager ce sentiment, mais je ne peux que le constater. Nos luttes au sein de l’Assemblée et ailleurs n’ont pour point de départ et pour finalité que les intérêts du pays. Si nous avions été mus par des motivations personnelles ou partisanes, nous aurions pu prendre notre part du «gâteau». Nous avons refusé cela, ce n’est pas notre part du gâteau que nous défendons mais une vision de ce que doit être la Tunisie libre et démocratique aujourd’hui.
Je pense que le jour où il y aura une visibilité, une date pour les élections et où les forces politiques commenceront à mobiliser la population autour d’alternatives, la confiance règnera de nouveau. Dans la dynamique de compétition politique et de préparation des échéances électorales, le peuple choisira. Les citoyens seront alors attentifs aux programmes que leurs proposeront les politiques et aux rêves qu’ils leur inspireront.
Nida Tounes, Al Joumhouri et Al Massar, l’idée d’un front politique commun avance-t-elle?
Je vous mentirais si je vous disais qu’elle avance au rythme que nous souhaitons, parce que l’une de ces trois formations, en l’occurrence Nida Tounes, est un mouvement naissant qui a presque deux mois d’existence et qui est en pleine structuration de ses forces à l’intérieur et dans la capitale. Sa direction est prise par l’immensité de la tâche interne d’organiser et de structurer les forces qui affluent vers elle. Cela ne peut que peser sur les activités extérieures. Toujours est-il que lors de nos réunions, Si El Béji a toujours réitéré qu’il n’y avait pas de solutions en dehors d’une alliance. Nous-mêmes estimons que l’alliance est une destinée, c’est plus qu’un choix. Le camp démocratique ne pourra pas rééquilibrer le paysage politique ni entrevoir l’alternance s’il n’unissait pas ses rangs.
Donc, pour ce qui est de la conviction, elle est totale. Maintenant la conviction ne suffit pas. Il faut qu’elle se transforme en actions politiques, espérons qu’avec la rentrée, il y aura des initiatives pour que ces forces agissent ensemble aussi bien sur le terrain que dans le cadre de institutions.
Devons-nous espérer que la Tunisie soit placée au dessus de toutes les dissensions et de tous les désaccords entre différentes forces démocratiques?
J’en suis convaincu. La suprématie de l’intérêt national sur les intérêts partisans est certaine et anime l’ensemble des formations politiques; elle s’élargit et touche d’autres forces autant dans la société civile que dans les mouvements politiques. Je suis optimiste quant à l’avenir d’un bloc démocratique qui puisse assumer son rôle dans l’alternance à venir.
Nous parlons beaucoup d’affaires nationales, rarement de nos relations avec nos voisins proches ou amis traditionnels de par le monde. Certains disent leur confiance en la Tunisie ébranlée. Qu’en pensez-vous?
La Tunisie a suscité au cours des premiers mois de la révolution une sympathie universelle, on l’a citait comme exemple aussi bien en Afrique du Sud, aux Etats-Unis qu’en Chine où le jasmin est devenu le symbole de la contestation. Les jeunes contestataires à Madrid, à Londres et à New York, hissaient le drapeau tunisien. C’est dire l’estime qu’on portait pour la Tunisie et qui a encouragé tous les Etats amis à la soutenir économiquement et à l’aider à se relever. Nous avions d’immenses chances qui ont été entamées par les résultats des élections. Elections qui ont donné la majorité à une force inconnue des Tunisiens et du monde extérieur.
La première réaction a été donc la réserve et fort malheureusement la gestion des affaires de l’Etat n’a pas aidé à renforcer la confiance aussi bien des acteurs économiques nationaux que ceux internationaux.
Certaines dérives, comme les violences salafistes, n’ont pas aidé à redorer le blason de la Tunisie. J’ai tout de même confiance car pour le monde extérieur, il importe que la Tunisie se stabilise. Les pays occidentaux tentent de tendre la main au nouveau régime pour l’aider à réussir le développement économique. Mais l’économie étant une économie de marché, les Etats ne peuvent pas se substituer aux forces économiques. Donc tant que le climat n’est pas approprié, n’est pas assaini, n’est pas sécurisé, les investisseurs ne mettront pas leurs mains à la pâte.
La notation de la Tunisie ou le fait que le Forum de Davos déclasse la Tunisie dans le sens où il la considère hors catégories, n’est pas de nature à renforcer la confiance des investisseurs.
La solution est entre nos mains, nous devons stabiliser la situation politique, sociale et sécuritaire pour créer des conditions favorables à l’investissement. Nous devons rassurer nos partenaires, en leur disant que la Tunisie ne déviera pas du chemin suivi depuis cinquante ans, à savoir d’être partie intégrante du monde moderne et coopérer à l’international.
Il va falloir avant tout que nous trouvions des solutions à nos difficultés, les autres pays, le monde extérieur est comme le ciel, il nous aidera, si nous nous aidions nous-mêmes.