Hassine Dimassi n’a pas mâché ses mots lors de la séance de clôture du forum de l’Association des Tunisiens des Grandes Ecoles (ATUGE), organisé le 13 septembre 2012 au Palais des congrès, en présentant un tableau assez noirci de la situation économique de la Tunisie. Mais pour l’ex-ministre des Finances et professeur d’économie, les indicateurs ne trompent pas. «Nous sommes dans un cercle vicieux, à terme fatal. Il est temps d’engager un réel débat», lance-t-il.
M. Dimassi évoque les révisions, selon lui, irréfléchies des salaires à la hausse, avec son corolaire, la hausse de l’inflation et la dévaluation de la monnaie nationale. Il affirme que les révisions des salaires ne se sont référées à aucun indicateur objectif, à l’instar de l’indice des prix à la consommation ou l’indice de productivité. «Très souvent, on se réfère aux rapports de force entre les parties sociales. C’est le seul indicateur. Ce qui fait que les partenaires sociaux sortent perdants. Et pour les citoyens, ceci se reflète par une baisse du pouvoir d’achat», a-t-il expliqué.
Augmentation ruineuse…
Mais ceci ne s’arrête pas là. L’augmentation des salaires est ruineuse pour le Budget de l’Etat. Selon M. Dimassi, le pays va droit vers un déficit budgétaire insoutenable, qui pourrait atteindre 8 et même 10% du budget d’ici deux années. Et pour cause: des ressources en accélération et des revenus en décélération, dus au fléchissement des recettes sociales classiques, l’accélération du transfert des entreprises publiques et la régression des ressources en pétrole de l’Etat.
Raymond Torres, directeur de l’Institut international d’études sociales de l’Organisation internationale du travail (OIT), évoque le cas de la Corée du Sud, qui a vécu une situation similaire, et a souffert de la surenchère des syndicats. Dans ce pays, un vrai dialogue social avait été instauré. Les syndicats se sont engagés à des augmentations modérées des salaires. «Il faut que l’Etat joue son rôle et soit une force de proposition», estime-t-il.
Au niveau des dépenses, on va vers une explosion de la masse salariale, une augmentation de la compensation, d’où une augmentation de la dette publique. «A ce rythme-là, l’Etat risque de perdre son rôle de régulateur et de développeur. Il sera incapable de réaliser lui-même les projets d’infrastructure et se soumettra à la volonté des investisseurs étrangers. A ne citer qu’un seul exemple: l’Etat ne parvient pas, depuis des années, à réaliser une seconde raffinerie de pétrole. Actuellement, +70% de notre pétrole raffiné est importé», précise-t-il.
Processus glissant…
D’un autre côté, M. Dimassi évoque l’état des Caisses de sécurité sociale, déficitaires. Certaines commencent déjà à épuiser totalement leurs réserves, et sont devenues dépendantes des cotisations. «En apparence, le régime de sécurité sociale est assez généreux au niveau des dépenses, mais il est défectueux. Pour la retraite, les proportions par rapport aux salaires sont assez élevées (90%) contre des pensions en absolu parmi les plus misérables», indique-t-il.
Cependant, ceci ne doit pas encourager l’Etat à se désengager de la sécurité sociale et recourir au privé, alerte M. Torres. «Il faudra réformer les paramètres et les rendre plus réalistes».
Un dernier défi qui n’est pas des moindres est celui du système formation-éducation. Un processus «glissant», selon M. Dimassi, absorbant les ressources de l’Etat et de la société aussi. En contrepartie, l’Etat se trouve obligé à créer de l’emploi, devant une masse croissante de diplômés. D’où la création de faux emplois non productifs, souligne le professeur d’économie, et un enfoncement dans la dette.
«Depuis l’indépendance et jusqu’aux années 80, on a transité d’un système éducatif rationnel mais sélectif et rigide à un système irrationnel, laxiste et rigide, ayant pour résultante un tsunami des diplômés du supérieur», ironise-t-il, en ajoutant qu’il est important, actuellement, d’«éviter le rigide et de revenir au rationnel».