“L’image de notre pays, son paysage social, le statut de la femme, l’indépendance de la justice et la liberté d’expression sont autant d’axes sur lesquels nous tenons à exprimer nos positions et à faire valoir notre argumentaire dans un esprit de citoyenneté et de responsabilité partagée”, a déclaré Wided Bouchammaoui, présidente de l’UTICA, lors du Forum de l’ATUGE organisé jeudi 13 septembre sous le thème: “Nouveau contrat social”, et en l’absence d’un représentant de la Centrale ouvrière.
La réussite de la transition politique est intimement tributaire du succès de la transition économique et sociale, a rappelé Mme Bouchammaoui: “L’impact de cette concertation sur l’environnement de l’entreprise peut se prêter à diverses appréciations sur la base des indicateurs économiques et sociaux disponibles, mais l’exercice a au moins le mérite d’instaurer les bases de nouvelles traditions dans la prise de décisions et le processus de gouvernance”.
L’atmosphère n’est toutefois pas angélique car le contexte politico-économico-social reste ambigu, déséquilibré et victime des rapports de forces nouvellement établis après le soulèvement de janvier 14. Le ministre des Affaires sociales lui-même le reconnaît: «Il n’y a pas de visibilité, c’est ce qui rend difficile la concrétisation des programmes sociaux».
Wided Bouchammoui a évoqué de la nécessité de réunir les préalables et les conditions nécessaires à l’édification d’un «modèle de société qui puise ses fondements dans nos valeurs, dans notre réalité, et des ambitions des différentes franges de la société en y associant l’ensemble des intervenants: partenaires sociaux mais aussi hommes politiques, représentants de la société civile, experts, universitaires, juristes, journalistes, et spécialistes en la matière».
Toutefois, faute de pouvoir se concentrer sur l’édification de ce modèle, ce sont les querelles politico-identitaires qui ont occupé tout l’espace public laissant peu de place au social et à l’économique, condition nécessaire à la réussite du processus de transition démocratique, estime Hassine Dimassi, ancien ministre des Finances, qui participait au Forum.
A qui la faute? A la communauté d’affaires? Frileuse, culpabilisée et prudente qui, faute de défendre ses intérêts, fait le dos rond, joue aux abonnés absents ou choisit carrément, de peur des représailles, de se vendre aux nouveaux gouvernants…
A l’UGTT? Laquelle ayant pris conscience de sa force de mobilisation après le 14 janvier s’est accordée le droit de défendre «aveuglément» des travailleurs et tant pis si les PME ou les grandes entreprises ferment leurs portes, elle aurait prouvé sa suprématie et accru le nombre des chômeurs…
A l’Etat? Incapable de convaincre, de gérer convenablement ses prérogatives, de négocier la paix sociale avec ses partenaires, que ce soit les syndicats patronaux ou ouvriers et d’assurer comme il se doit son rôle d’arbitre?
A l’UTICA? Qui ne s’est pas encore positionnée en tant qu’organisation patronale incontournable, capable de prendre position, de persuader ses vis-à-vis à l’UGTT de la délicatesse de la conjoncture et des difficultés dans lesquelles se débattent des centaines d’entreprises? «Nous avons établi une plateforme de dialogue, pour dépasser le caractère ponctuel des négociations sociales classiques et inscrire dans la durée les rapports des représentants des employeurs et des employés». A-t-elle été assez éloquente vis-à-vis de ses interlocuteurs à la centrale des travailleurs? La réalité des entreprises, prises en étau entre les menaces de représailles anti-corruption de la part de la Troïka et la pression des négociateurs chevronnés de l’UGTT, laisse vraiment à désirer…
La situation actuelle est également la conséquence de l’absence de l’élément social dans les entreprises sur des décennies, ce qui a engendré aujourd’hui le désir de «se venger du patron»… Résultat: en fait, tout le monde est perdant. Le patron qui n’a pas su impliquer son personnel, le motiver et créer un espace de dialogue et de partage au sein de l’entreprise, et l’employé enivré par le vent de la révolution qui ne mesure pas dans certains cas l’impact des ses actes de protestations risquant de mettre à mal son entreprise et de se retrouver en chômage.
Le mouvement de protestation postrévolutionnaire a frappé les entreprises de plein fouet affectant les relations dirigeants/travailleurs. Le contrat social en Tunisie est aujourd’hui remis en cause parce qu’il n’a pas été édifié sur des bases solides, la révolution a révélé sa fragilité et il va falloir, de part et d’autre, reconnaître l’importance de repenser le modèle social dans un sens qui serve aussi bien les intérêts des partenaires sociaux que ceux de l’Etat.
En Tunisie, l’échec du modèle social a porté un coup terrible à la compétitivité du pays avec pour exemple -et non des moindres- le choix du Maroc par Bombardier alors qu’au départ la firme voulait s’installer en Tunisie: «Nous voulons bien que les entrepreneurs donnent leur droit aux travailleurs mais nous ne voulons pas non plus subir la dictature des employés, or ce qui se passe aujourd’hui dans notre pays porte un coup terrible à sa compétitivité, à son image de marque et à son positionnement dans la région», a indiqué Slim Zghal, CEO de Altea Packaging dans l’atelier consacré au “Contrat social et à la compétitivité“ au Forum de l’ATUGE.
Mais au cœur de toutes les problématiques citées plus haut persiste une à laquelle l’Etat tunisien n’a pas pu apporter un remède à ce jour: le chômage. Pour s’y attaquer, il va falloir encourager l’investissement, pour y réussir, il va falloir sécuriser et rassurer les investisseurs potentiels et raccourcir le chemin vers la création des PME, principales pourvoyeuses en main-d’œuvre.
Les entrepreneurs ont aujourd’hui et plus que jamais besoin d’une plus grande présence de l’Etat.
Etat? Existe-t-il seulement un Etat en Tunisie?