Alors que les banques étaient jusqu’ici dépeintes comme des victimes du secteur touristique dont l’endettement énorme les met en grande difficulté et pourrait menacer l’existence de certaines d’entre elles, voilà que les opérateurs touristiques contre-attaquent pour dire que les victimes ne sont pas celles qu’on croit. Ce n’est pas la première fois qu’hôteliers, voyagistes et autres acteurs de l’industrie touristique tentent de se défendre contre l’image de canards boiteux qu’on donne d’eux et, plus particulièrement, de faire entendre un autre son de cloche sur l’épineux dossier de l’endettement touristique. Ils l’ont fait en 2008, armés de deux études, l’une financière et l’autre juridique, mais de manière très feutrée, car sous Ben Ali aucune libre expression n’était tolérée.
Aujourd’hui, ils reviennent à la charge, à la faveur du nouveau contexte de l’après 14 janvier 2011, qui, ayant libéré la parole, est propice à tous les déballages. Aussi, il n’est guère étonnant que le déjeuner-débat avec les directeurs des journaux, télévisions et radios, organisé jeudi 13 septembre par la Fédération tunisienne de l’hôtellerie (FTH), la Fédération tunisienne des agences de voyage (FTAV) et l’Association des directeurs de journaux de Tunisie (ADJT) ait tourné au procès des banques. Un procès instruit par Mme Néjiba Chouk, expert-comptable qui a réalisé l’étude financière destinée à distinguer le vrai du faux en ce qui concerne l’endettement du secteur hôtelier.
Cette étude réalisée en 2008 –remise, selon M. Mohamed Belajouza, président de la FTH, à tous les gouvernements et «à M. Hamadi Jebali, avant qu’il ne devienne chef du gouvernement»- dresse un état des «principales incohérences entre les dispositions contractuelles et les dispositions règlementaires» -en matière de fixation, de modalités de calcul, de perception, de capitalisation et de bonification du taux d’intérêt- ayant caractérisé le traitement réservé par les banques à leurs clients hôteliers.
Alors que, selon une circulaire de la Banque centrale en date du 17 décembre 1991, la marge moyenne qu’une banque peut prélever sur l’ensemble de ses crédits est plafonnée à 3% de pourcentage au dessus du TMM, «le taux d’intérêt appliqué par les banques de développement hôtelières est fixé à 15% représentant le taux de référence majoré de 6,97%», relève la note de la FTH. En outre, s’il est prévu que les taux d’intérêt soient actualisés en fonction de la variation du taux de base, «dans la pratique, les banques ne procèdent pas systématiquement à cette actualisation pour déterminer le montant des impayés et les intérêts de retard y afférents». Ceci pour la première anomalie.
La seconde a trait à la méthode de calcul et de perception de l’intérêt. Outre le fait de prendre le nombre total de jours de l’année (365), au lieu de 360, les banques perçoivent les intérêts d’avance en violation de la réglementation en vigueur.
La troisième anomalie concerne la capitalisation de l’intérêt –c’est-à-dire sa consolidation et sa transformation en principal productif à son tour d’intérêts- elle aussi interdite par la loi.
Plus grave encore, «la banque qui finance le projet et est présente dans le conseil d’administration fait porter la responsabilité au promoteur et se transforme en recouvreur en cas de difficulté», se lamente M. Afif Kchouk, patron de presse et hôtelier. Qui constate que «les banques font ce qu’elles veulent et on ne les touche pas parce que c’est un secteur important de l’économie». Une accusation à peine voilée adressée aux pouvoirs publics.
Ceux-ci ont non seulement laissé faire mais également changé les règles du jeu en faveur des banques. «Lorsque les hôteliers ont initié à partir de 1988 de nombreux procès pour obtenir la cessation de la capitalisation des intérêts interdite par le code du commerce et les circulaires de la Banque centrale, la loi a été changée pour permettre aux banques de poursuivre cette pratique», rappelle M. Néjiba Chouk.
Au total, en raison de ces irrégularités, les banques touchent plus d’intérêts qu’elles ne devraient. Selon l’expert-comptable, ce trop perçu s’élève de 37 à 67% selon le cas. Ce qui fait dire à un hôtelier que ce sont les hôteliers qui devraient réclamer de l’argent aux banquiers et non l’inverse.