La conférence de presse organisée par le parti Nida Tounes, jeudi 20 septembre 2012, a permis à son président, Béji Caïd Essebsi, de planter le décor: Nida Tounes est le parti de tous les Tunisiens, qu’ils aient différentes sensibilités politiques cela ne fait pas d’eux des ennemis tant que c’est la Tunisie qu’ils veulent servir. La violence doit être bannie de la scène politique tout autant que les règlements de compte. Le modèle de vie d’une Tunisie moderniste doit être préservé et plus que tout, le gouvernement en place aujourd’hui, qui a «échoué» dans la gestion des affaires du pays, doit mettre en place au plus vite une feuille de route, fixer l’échéancier électoral et céder les ministères de souveraineté à des personnalités nationales indépendantes.
Lecture d’un discours à haute portée politique avec un membre du bureau exécutif du parti, chargé de la commission politique: Mondher Belhadj Ali.
WMC : Vous êtes membre du bureau exécutif du parti Nida Tounes, quelle lecture apportez-vous aux déclarations de Béji Caid Essebsi dans la conférence de presse organisée jeudi 20 septembre?
Mondher Belhadj Ali : Le premier constat est que la Troïka est défunte; le deuxième constat concomitant est que le gouvernement a échoué. Il n’a pas tenu ses promesses et n’assume même plus les fonctions ordinaires de l’Etat. Troisièmement, l’Assemblée nationale constituante a été élue sur la base d’un décret fixant le 23 octobre comme date limite pour l’achèvement de la rédaction de la constitution. Le décret en question a été soutenu par le texte du 15 septembre entre les partis politiques et dans lesquels ces partis s’engagent à finaliser la constitution le 23 octobre 2012.
Donc, c’est un engagement moral?
Non, ce n’est pas seulement un engagement moral mais politique, et il représente un acte juridique rattachable au décret et cela explique en quelque sorte que le principe de l’organisation d’un référendum n’ait pas été retenu. D’ailleurs, M. Rached El Ghannouchi a en cette même journée déclaré à la presse nationale s’être engagé à respecter ce contrat, pareil pour MM. Ahmed Ibrahim, Mustapha Ben Jaafar et Maya Jeribi, et les autres. Ils étaient tous unanimes à fixer un deadline pour ce qui est de la concrétisation finale de la Constitution de la Tunisie. Par conséquent, mardi 24 octobre, la légitimité électorale de l’actuelle Troïka n’existera plus.
Que se passera-t-il ensuite, le pays doit-il souffrir d’un vide institutionnel?
Il y a plusieurs manières d’aborder les choses: ou bien le pays va vers le chaos et la violence, laquelle, soit dit en passant, existe déjà, et c’est que nous ne souhaitons pas et que nous nous employons à éviter pour sauvegarder la paix et la stabilité de notre peuple. Ou bien -et c’est ce que souhaiterait Nida Tounes- arriver à un consensus national entre tous les partis avant le 23.
Pourquoi un consensus? Pour au moins trois raisons. La première, pour essayer de construire une nouvelle légitimité consensuelle qui remplacera la légitimité électorale; la seconde, pour assurer la continuation de l’Etat et le fonctionnement normal des institutions; et troisièmement, pour pouvoir dire aux Tunisiens et à nos partenaires étrangers: “voici où nous allons, tel est notre agenda et comment nous comptons le concrétiser“.
Béji Caid Essebsi a déclaré lors de cette même conférence de presse, soutenir un processus consensuel dans lequel il ne s’engage pas en tant que Nida Tounes mais qui engagerait d’autres partis?
Notre programme politique est constitué de deux axes: le premier concerne les mécanismes, le deuxième, celui du gouvernement.
Les mécanismes sont les suivants: finaliser la rédaction d’une Constitution moderne et approuvée par toutes les parties et rapidement. Deuxièmement, il faut remettre au plus vite l’ISIE (Instance supérieure indépendante des élections) au travail pour qu’elle puisse procéder à l’inscription de 4 millions de Tunisiens sur les listes électorales et promulguer un nouveau code électoral ou ré-adopter l’ancien en lui introduisant quelques retouches. Enfin, coucher une feuille de route pour les étapes électorales d’après, c’est à-dire les législatives, la présidentielle, les régionales et les municipales. Tout ceci pour répondre à deux questions que se posent tous les Tunisiens: comment et quand terminera-t-on la deuxième phase de la transition?
Aucun parti politique ne peut prétendre le faire tout seul aujourd’hui, et d’ailleurs toutes les composantes politiques du pays s’accordent sur cela. Mais c’est Nida Tounes qui, le premier, a fait des propositions concrètes et un plan de travail concret.
Deuxième axe, celui du gouvernement: serait-ce parce qu’il y a consensus qu’il n’y aura pas d’élections? Et qu’Ennahdha continuera à travailler comme auparavant? Bien sûr que non. Le parti majoritaire aujourd’hui n’aura pas la même légitimité électorale, le 24 octobre au matin. Par voie de conséquence, pour assurer la continuité de l’Etat, sauvegarder la neutralité de l’administration, il faut au moins que les quatre ministères de souveraineté soient tenus par des personnalités nationales indépendantes ou au moins par des non partisans. L’expérience de ces quelques mois a montré ce que peuvent faire les velléités partisanes des ministères de souveraineté et de l’Administration.
D’autre part, ce gouvernement pléthorique, qui est l’un des plus importants en nombre de par le monde, doit être réduit de moitié. Mis à part les ministères de souveraineté, ceux qui resteront au gouvernement devront faire l’objet d’un accord entre plusieurs partis politiques. S’il y a des partis politiques d’accord pour gouverner avec Ennahdha, c’est tant mieux, cela ne nous pose aucun problème à Nida Tounes, mais en ce qui nous concerne, nous soutiendrons tout gouvernement capable d’assurer la deuxième phase de la transition. Nous n’y participerons cependant pas.
Pourquoi approuveriez-vous la participation d’autres partis tout en restant en dehors de toute implication dans le prochain gouvernement? Vous estimez-vous non concernés par le prochain gouvernement?
Bien sûr que nous nous sentons concernés, pourquoi existerions-nous sinon? Le fait est que Nida Tounes est en train d’installer ses structures, de s’organiser et d’affirmer sa présence à l’échelle nationale. Nous sommes également en train de mettre en place nos programmes politiques et socio-économiques; nous ne voulons pas nous attaquer à tout et en même temps.
Il y a une deuxième phase transitoire et des élections, et d’ici là, notre approche sera mieux définie. Et puis l’alternance civile et démocratique des pouvoirs est une culture que nous devons tous œuvrer à construire. Nous l’avons réussi une fois lorsque M. Béji Caid Essebsi a remis le pouvoir aux mains de la Troïka, juste après les élections et nous comptons bien la perpétuer dans notre pays.
Pourquoi est-il si important pour vous que le gouvernement change de configuration?
Parce que nous voyons ce que ce gouvernement a fait du pays. Nous ne sommes d’ailleurs pas les seuls à le penser. Les Tunisiens sont unanimes: le gouvernement a échoué sur toute la ligne. Quand nous disons qu’un Etat ne se gouverne pas ainsi, nous avons raison. Quand nous disons que nous avons des traditions et un modèle de société que nous devons sauvegarder et développer dans le bons sens et non pas renvoyer des siècles en arrière, nous avons raison. Quand nous décrétons que le Code du statut personnel fait partie de l’intouchable, que c’est une ligne rouge, nous avons raison. Quand nous parlons de l’article premier de la Constitution, nous avons raison. Quand nous disons que face à la légitimité électorale, il existe une légitimité tout aussi importante, celle de soigner les Tunisiens, de réduire le coût de la vie pour préserver leur pouvoir d’achat et de créer des emplois pour les jeunes, nous avons tout autant raison.
D’où notre assurance et la légitimité de nos revendications en tant que parti politique fédérateur de l’ensemble des Tunisiens soucieux des intérêts de leur patrie. Notre assurance qui ne saurait en aucun cas s’inscrire contre l’humilité nécessaire au militantisme politique sincère.
Nombre de partis politiques dans l’opposition sont partants pour un front électoral avec Nida Tounes, pourtant à la manière dont certaines déclarations sont faites de la part de vos leaders, on a l’impression que vous ne vous placez pas au même niveau qu’eux mais que vous imaginez que vous pouvez faire cavalier seul. Est-ce vrai ou serait-ce tout simplement une mauvaise interprétation des propos en question?
Jamais! Et pour preuve: la série de réunions que nous tenons depuis quelque temps avec nos amis d’Al Joumhouri et d’Al Massar, le communiqué commun publié le mercredi 19 septembre à propos des incidents qui ont eu lieu à l’ambassade américaine et à l’école américaine, qui commence à baliser le terrain, les commissions et les sous-commissions que nous avons mis en place ensemble.
La grande question qui se pose aujourd’hui est la nature du front que nous sommes en train de construire. Est-ce un front politique ou un front électoral? Ce sont là des discussions très sérieuses où il n’y a pas de place à la grosse tête. Et pour votre gouverne, nous sommes un parti nouveau, les autres sont beaucoup plus anciens que nous et ont beaucoup plus d’expérience, mais nous travaillons tous à élargir ce front moderniste et démocratique pour le bien du pays.
Quelle est votre position par rapport à l’initiative d’Al Joumhouri pour réunir les partis politiques autour d’une table ronde afin de débattre du processus politique après le 23 octobre 2012?
Nous avons déclaré ce qui suit: il ne faut pas que les initiatives de certains partis politiques puissent être interprétées de la part de l’UGTT comme faisant ombrage à sa propre initiative. Sans cette réserve, il est évident que les partis politiques sont censés prendre des initiatives. Et je tiens à vous dire que nous approuvons l’initiative d’Al Joumhouri. D’ailleurs, elle n’est plus celle uniquement d’Al Joumhouri mais dans une grande mesure celle d’Al Massar et de Nida Tounes.
Bien sûr que nous pouvons avoir des appréciations différentes les uns des autres. Al Joumhouri parle d’un gouvernement de technocrates, nous avons notre propre approche. Mais nous sommes tous d’accord sur la nécessité de mettre fin à la violence, de remettre le pays sur les rails, et de préparer sérieusement et sainement les prochaines échéances électorales. Nous partageons avec tous les partis politiques la même vision d’une Tunisie tolérante, démocratique, égalitaire et moderniste.