Le nouveau modèle économique doit générer ses propres régimes de protection sociale. Tout est à réinventer. Quel horizon de viabilité, nouveau, pour la protection sociale de demain? Quel mode de cotisation à l’épreuve du déficit doit-on mettre en place? L’uniformisation des régimes peut-elle satisfaire les salariés du public et du privé?
Parmi les urgences du moment figure la protection sociale. Et cela a bien été le thème du dernier séminaire de l’Association des économistes tunisiens (ASECTU), en partenariat avec la fondation allemande Hanns Seidel Foundation, la Banque mondiale, l’UNICEF ainsi que le BIT (Bureau international du travail).
Tous s’accordent à admettre que le printemps arabe est venu rappeler au «caractère insupportable des inégalités». Celles-ci se reflètent dans l’exclusion sociale qui frappe les régions déshéritées, la raréfaction de l’emploi, ainsi que dans le processus de paupérisation accélérée de couches sociales vulnérables. La précarité se répand de plus en plus et s’étend à des couches sociales fragilisées et qui se trouvent affectées dans leur quotidien.
Cette crise concerne également les systèmes de protection sociale. Aucun régime n’y échappe. Ni ceux à version contributive dits «bismarckiens» ni ceux assistantiels dits beveridgiens. La couverture sociale, dans ses deux composantes, de retraite et de prestation santé, est insatisfaisante à l’heure actuelle. Outre cela, le déficit rampant des caisses devient de plus en plus menaçant.
Walid Merouani, du CREAD (Algérie), ainsi que Slaheddine Benjelloun de l’ENSAE (Maroc) ont joint leur voie aux autres conférenciers pour rappeler que les situations dans les pays du Maghreb sont similaires et pour appeler à réformer les systèmes actuels. Plus on attend et plus le coût social de l’opération sera élevé.
Ambiance grand amphi
Le séminaire a réussi à tenir les temps. Professeur Mohamed Haddar, président de l’ASECTU, veillait au chrono. Le Professeur a configuré l’espace en grand Amphi, pour assurer une certaine convivialité. Et c’était à l’avantage du débat. Les échanges ont été intenses, passionnés et de haute facture. En l’absence d’un fil conducteur rigide et contraignant, quelques digressions ont été enregistrées mais sans faire dérailler l’essentiel des réflexions. L’essentiel a été dit. Les propositions ont été nombreuses. Les recommandations se sont inspirées de ce qui se fait dans la région, se sont nourries également de ce qui se fait en UE mais, également, vue les interventions des représentants de la Banque mondiale ou de l’UNICEF des expériences d’Amérique latine.
Les grands démons du déficit des caisses et des fausses déclarations patronales
Les pays du Maghreb connaissent des régimes ressemblants. Les régimes de retraite sont doubles. Un, pour le privé, et un, pour le public. Un régime assistantiel, avec une implémentation aux couleurs locales, vient compléter le dispositif.
Les régimes sont «iniques». Ils favorisent les hauts salaires et pénalisent les salaires modestes. L’absence d’un système d’information performant bloque les possibilités d’amélioration de l’efficacité des régimes. Ainsi en est-il du suivi individualisé des contributeurs à l’effet de permettre un calcul de pension précis et moins approximatif. L’exclusion des salariés des secteurs informels et des chômeurs complique la donne sur terrain et nourrit le mécontentement. La persistance des déclarations «arrangées» du privé, quand ce n’est pas une absence pure et simple de déclaration, lèsent le système et les retraités. L’ennui, est que cela se produit parfois, avec l’accord-forcé?- des salariés eux-mêmes. Les inégalités subies par les salariés/retraités sont pointées du doigt pour leurs conséquences incalculables sur l’équilibre des ménages, la stabilité familiale et l’avenir des enfants.
Dans quel sens réformer?
Des instances indépendantes pour évaluer les résultats des réformes
Nos sociétés connaissent à peu près les mêmes tendances démographiques et environ les mêmes perspectives économiques. Quand bien même la croissance reprendrait du poil de la bête, elle reste exposée à des à-coups. Il y aura de moins en moins d’actifs pour supporter toujours plus de retraités. Aux mêmes maux, les mêmes remèdes. Le système contributif s’essouffle. L’équilibre des Caisses est mis à rude épreuve. Les solutions sont mécaniques. Pour retarder l’irruption du déficit, on peut toujours baisser les montants des retraites, reculer l’âge du départ à la retraite et augmenter les cotisations. Une chose est sûre. Ceux qui auront les moyens pourront aller vers des régimes complémentaires par capitalisation autant pour la retraite que pour la santé.
Est-il possible d’uniformiser les régimes, du public et du privé? C’est plausible si on parvient à “barémiser“ le système pour mettre en phase les cotisations et les pensions de retraite. Mais c’est encore à explorer. Les solutions, on l’a bien vu au fil des exposés, doivent plier à de considérations financières, tel le délai de récupération des contributions, et la question prend une certaine acuité avec l’allongement de l’espérance de vie. Mais également, le taux de remplacement instantané. Enfin, le taux de rendement actuariel, sachant que le système se ramène à investir des flux de trésorerie.
On ne peut toutefois occulter l’aspect politique de certaines questions dont le statut de la femme au travail. En Suède, la femme au travail est relayée, dans son noble rôle d’encadrement des enfants, par des assistantes sociales payées par la communauté. La solution peut très bien être implémentée dans nos pays. Pour ce faire, il est nécessaire de réunir la volonté politique requise. Tout dépend du modèle social que la transition fera émerger.