Invité de la chaîne française d’information continue, BFM Tv, le vendredi 21 septembre 2012, Jean-Christophe Ruffin, écrivain, académicien et ancien ambassadeur de France au Sénégal, relève deux grands enseignements de l’évolution du Printemps arabe: la chute des dictateurs ne veut pas dire la fin des tracas et les pays occidentaux ont idéalisé les rebelles».
Pour Hillary Clinton, la ministre américaine des Affaires étrangères, qui a reçu, le vendredi 21 septembre 2012, Rafik Abdessalem, le ministre tunisien des Affaires étrangères, les pays arabes qui ont connu des troubles à la suite de la diffusion du film anti-Islam de Sam Bacile, se doivent de prendre des mesures afin de protéger et les représentations diplomatiques et les peuples de la région du risque que font peser sur eux les extrémistes.
Elle l’a dit clairement, le samedi 15 septembre, au lendemain du déroulement des incidents de l’ambassade américaine de Tunis, quand elle a indiqué, au cours d’une cérémonie du retour des dépouilles des Américains assassinés en Libye, à la base aérienne d’Andrews dans le Maryland (Nord-est des Etats-Unis d’Amérique), que “Les peuples d’Egypte, de Libye, du Yémen et de Tunisie n’ont pas troqué la tyrannie d’un dictateur pour la tyrannie des foules». Exhortant les “gens sensés et les dirigeants responsables de ces pays à faire tout ce qu’ils peuvent pour rétablir la sécurité et poursuivre ceux qui sont derrière les violences”.
La censure recommence à apparaître en Egypte
Une réaction qui tend à faire croire que pour nombre de politiques et d’observateurs occidentaux que le «Printemps arabe» a sans doute déçu. Ecrivain, académicien français et ancien ambassadeur français, Jean-Christophe Ruffin, est de cet avis. Interviewé, vendredi 21 septembre, sur la chaîne française d’information en continu, BFM Tv, il a avancé deux arguments. Qui sonnent comme des enseignements tirés du «Printemps arabe».
Le premier? «La chute des dictatures ne veut pas dire la fin des tracas pour les peuples de la région arabe concernés». En effet, avec le Printemps arabe, les menaces sur la liberté n’ont pas totalement disparu. En Egypte comme en Tunisie, des tentations de museler la presse et les journalistes ont continué à exister.
Un article publié par le quotidien arabophone Al Hayet (établi à Londres), le 30 août 2012, souligne qu’en Egypte «les régimes passent, la censure aboie toujours». Il soutient qu’il «n’a pas fallu un mois depuis l’investiture du nouveau président, Mohamed Morsi, membre des Frères musulmans, élu en juin 2012, pour que la censure recommence à apparaître comme une épée de Damoclès». Il ajoute: «Toutefois, alors que Moubarak laissait la porte ouverte à une certaine liberté de parole dans la presse, comme une soupape de sécurité, et s’appuyait sur des conseils d’administration et des directeurs de médias qui avaient suffisamment bien expérimenté les méthodes de répression pour pouvoir les reproduire à leur tour, le nouveau régime adopte de nouvelles méthodes. Enfin, pas si nouvelles que cela. Plutôt très anciennes même, bien que la génération des révolutionnaires soit trop jeune pour les avoir connues. On n’a pas tardé à utiliser l’accusation d’insulte au président pour fermer une chaîne de télévision (Al-Faraeen), puis à censurer de grands journalistes. Un journal, Al-Akhbar, a même tout simplement supprimé sa page Opinion. De même, les lieux culturels n’ont pas tardé à retrouver leurs vieux réflexes».
Même constat en Tunisie où des organisations internationales des Droits de l’Homme –et pas seulement- ont relevé et condamné le fait que des journalistes aient été violentés au vu et su de tous. Et que les locaux d’une chaîne de télévision (El Hiwar Ettounisi) ont été saccagés dans la nuit du 26 au 27 mai 2012: les dégâts sont estimés à 100.000 euros (le double en dinars).
Human Right Watch accuse les rebelles libyens et syriens
Le SNJT (Syndicat national des Journalistes Tunisiens) a évoqué, samedi 22 septembre 2012, l’organisation d’une «grève générale» des journalistes et a imputé la responsabilité de celle-ci au gouvernement pour la «lenteur des réformes dans le secteur et les menaces qui pèsent sur la liberté d’expression et de presse en Tunisie».
Deuxième argument avancé par Jean-Christophe Ruffin au sujet de la déception quant à l’évolution des pays du Printemps arabe: «Nous avons idéalisé les rebelles». L’ancien ambassadeur de France au Sénégal a été, à ce sujet, d’une grande clarté: les rebelles ont participé à approfondir le chaos. Jean-Christophe Ruffin avait, sans doute, en tête la mort de l’ancien ambassadeur américain en Libye. Certaines sources affirment que pas moins de deux millions d’armes circulent dans le pays livré du reste à des milices qui s’entretuent. Le plus grand défi de la Libye d’après-Kadhafi réside d’ailleurs dans la possibilité de ramasser ces armes et d’éradiquer les milices qui les possèdent. Et qui affirment souvent, du moins pour certaines, vouloir les garder sous prétexte que «la révolution n’est pas terminée». D’ailleurs, les autorités libyennes ont donné jusqu’à ce lundi 24 septembre à toutes les milices de s’auto-dissoudre.
L’organisation Human Right Watch a accusé, en juin 2012, des rebelles anti-Kadhafi d’avoir, le 13 juillet 2011, accompli des actes de violence sur la population civile (incendies, de pillages et tortures) à Djebal Nafoussa (ouest de la Libye). L’organisation des Droits de l’Homme a également accusé, le 17 septembre 2012, les combattants anti-Assad, en Syrie, d’avoir torturé et exécuté des civils syriens à Alep, Lattaquié et Idlib (nord-ouest de la Syrie).
Une réalité qui ne peut être niée. Mais qui ne peut -loin s’en faut- légitimer le retour des dictatures qui ont régné sans partage sur des pans entiers du monde arabe avant l’éclatement du Printemps arabe. Il s’agit d’un pas qu’aucune personne censée ne peut franchir. Reste –et Hilary Clinton aura été claire à ce sujet- les dirigeants des pays du Printemps arabe doivent corriger le processus démocratique que leurs nations ont entamé et dont ils sont comptables. “Les peuples d’Egypte, de Libye, du Yémen et de Tunisie n’ont pas troqué la tyrannie d’un dictateur pour la tyrannie des foules», a-t-elle rappelé.