Nombre d’opérateurs économiques tunisiens envieraient son courage, son audace et son optimisme à Lionel Guérin, PDG de la compagnie aérienne Transavia, filiale d’Air France. Alors que l’ambiance, à Tunis, est plutôt triste et morose après l’attaque perpétrée vendredi 14 septembre contre l’ambassade américaine, lui s’amène, accompagné d’une partie de son staff, en ce lundi 23 septembre pour présider une conférence de presse et annoncer en personne le lancement d’une ligne Transavia Tunis/Paris. L’air de dire à tout le monde et surtout aux internationaux: «à Tunis tout va bien, nous n’avons pas peur des violences ou de l’extrémisme, nous avons confiance et, pour preuve, nous sommes là. Nous prouvons notre confiance dans le site Tunisie par des actes et non des discours». D’ailleurs, il ne cache pas son optimisme de voir la Tunisie dépasser sereinement cette phase délicate de transition démocratique.
Nous avons profité du passage de Lionel Guérin en Tunisie à l’occasion du lancement de la ligne Tunis/Paris pour nous entretenir avec lui.
WMC : Le développement des dessertes Transavia sur la Tunisie jusqu’à lancer une ligne Tunis/Paris répond-il à un modèle économique d’expansion des activités de votre compagnie en direction de la Tunisie ou servirait-il tout juste à grignoter des parts de marché de la compagnie battant pavillon national Tunisair?
Lionel Guérin : C’est un modèle d’expansion en premier, puisque nous avons ouvert nos lignes sur la Tunisie il y a 5 ans. Nous avons commencé par Djerba et Monastir. Cela a bien fonctionné, si bien que cela nous a encouragé à ouvrir les lignes Paris, Lille, Nantes et aujourd’hui Tunis. Je pense que nous avons apporté un plus en Tunisie, nous n’avons jamais lâché le marché. Nous étions présents tout au long de la révolution, nous avions maintenu nos vols. Transavia était la seule compagnie qui travaillait sur Monastir. L’hiver dernier, Tunisair s’est retiré de Tozeur, nous, nous avions ouvert la ligne avec le soutien de l’Office du Tourisme et l’aide des agents de voyage et des hôteliers.
Heureusement que nous étions là, ce qui nous a permis d’assurer le transport quand il n’y avait plus de vols. Nous reprenons cette année, et Tunisair aussi. Je pense qu’une concurrence maîtrisée ne pourra qu’être bénéfique pour les consommateurs; ça booste les uns et les autres et nous oblige à travailler.
Sur le Tunis/Paris et Paris/Tunis, nous sommes en concurrence mais sur d’une façon et sur des produits différents. Transavia est sur un système de prix permettant au client de payer moins cher dès lors qu’il réserve à l’avance. Tunisair est sur un modèle différent, classique, tout comme Air France. Ce sont des compagnies qui ont des classes business travel plus voyage économique, ce n’est pas le cas pour nous, nous sommes plutôt axés positionnement loisirs.
Ce sont deux approches différentes qui permettent de répondre aux besoins du marché. La Tunisie a besoin, tout comme d’autres destinations, d’un transport de qualité dans les deux sens à des prix accessibles.
Là nous développons, avec notre agent général Kars, des formules permettant aux Tunisiens de réserver à partir de Tunis, acheter des billets en aller simple et payer en monnaie locale. C’est relativement nouveau. La révolution internet continue, nous opérons sur le Net, ce qui nous permet d’intéresser des jeunes qui ont envie de voyager. Et via Transavia.com, ils peuvent le faire pour des prix accessibles.
Nous avons besoin d’une Tunisair forte, pour l’image de la Tunisie à l’international, nous préférons que les acteurs se portent bien.
C’est toujours dans les périodes difficiles que les meilleurs investissements se font. Est-ce le cas aujourd’hui de Transavia en Tunisie? Surtout après les événements du 14 septembre (attaque de l’ambassade américaine…).
Nous étions là avant la révolution, nous sommes restés après la révolution. Je suis venu, accompagné d’une délégation de journalistes français trois jours après le 14 janvier juste pour dire qu’il ne faut pas avoir peur. Nous sommes revenus lors des élections, nous voulions voir la démocratie en route, et là, nous sommes de nouveau à Tunisie malgré les événements. Il ne faut pas se faire peur.
D’abord, ce qui s’est passé a été perpétré suite à des événements malheureux. Et franchement, l’affaire de Charlie Hebdo est proprement détestable. Ce n’est pas de la provocation, c’est tout simplement pour vendre des journaux, à des fins mercantiles. Pour les Français, c’est criminel, d’autant plus que nous avons encore, nous Français, des otages au Mali. Personnellement, je m’oppose absolument à ce genre de pratiques qui n’ont aucun sens.
En ce qui nous concerne, nous n’avons jamais douté de la Tunisie et nous ne l’avons jamais quittée, et ce n’est pas des paroles, ce sont des actes: nous investissons et les Tunisiens nous le rendent bien, ils remplissent nos avions. Les Français sont rassurés par notre présence d’autant plus que nous leur répétons assez souvent que nous n’avons jamais eu de problèmes avec nos clients. Ceci dit, en France aussi, il se passe des choses, à Marseille, il peut se passer des choses beaucoup plus graves que celles qui ont lieu en Tunisie où nous n’avons jamais eu de grèves de contrôleurs, nous n’avons jamais eu de problèmes pour assurer nos vols. Ce n’est pas le cas en France lorsqu’il y a des grèves.
Je reste très serein par rapport à la Tunisie, il y a des phénomènes de société qui sont plus ou moins prévisibles qui ne m’empêcheront pas de venir. Avant, le tourisme tunisien était très fermé, les touristes vivaient dans les hôtels, aujourd’hui, ils s’ouvrent sur la société, sur le milieu socioculturel. Il n’y a pas que la plage, il y a les gens, il y a le tourisme culturel, l’écotourisme. Les vacanciers peuvent passer quelques jours à la plage et puis venir à Tunis, découvrir la ville et d’autres facettes de la Tunisie.
A ce propos, êtes-vous en train de réfléchir à développer des produits touristiques spécifiques Transavia, en tant que transporteur avec des hôteliers et agents de voyage tunisiens?
En tant que transporteur, le marketing produit est très important pour nous. Une offre diversifiée et attractive peut être porteuse. En marge de la conférence de presse organisée lundi 24 septembre, il y a des personnes qui étaient venues nous voir pour nous offrir des produits artisanaux tendance, relookés et adaptés à l’ère du temps. Les produits artistiques sont importants et drainent une clientèle intéressante, mais aussi l’écotourisme que nous voulons développer.
Nous avons réalisé, autorisés par les autorités tunisiennes, une série de reportages photographiques et des films dans des réserves naturelles tunisiennes que nous diffusons à bord de nos avions. Il faudrait maintenant organiser cette activité localement pour qu’elle se développe et soit respectueuse de la nature.
Y a-t-il des opérateurs touristiques locaux qui se sont montrés intéressés pour concevoir avec vous d’offres adaptées à votre label?
Nous travaillons étroitement avec l’Office du tourisme; il nous faut des réceptifs locaux. Pour l’instant, les opérateurs français restent frileux, il faut les convaincre et les motiver. Oui, nous comptons développer des produits, et à titre d’exemple Tozeur que nous comptons relancer. Que pouvons-nous offrir à Tozeur, à la fois le désert, des SPA, des week-ends intéressants, de la spiritualité et pour ceux qui aiment la mer, il y a toujours Djerba.
Quelles sont les lignes qui marchent le plus en Tunisie?
Elles marchent toutes. Mais cela dépend des saisons, en été Djerba et Monastir marchent bien, Tunis a également très bien marché. Celle qui a marché difficilement l’hiver dernier c’est Tozeur.
Y a-t-il des quotas France/Tunisie ou est-ce ouvert à tout le monde selon la disponibilité des sièges?
Il n’y a pas de quotas, qu’on soit Français ou Tunisiens, c’est pareil dès le moment qu’on réserve sur le Net. Kars, notre représentant ici, a un accès en temps réel aux stocks existants au siège. Il s’agit tout juste de disponibilité.
En Tunisie, le lancement de l’open sky est toujours en discussion, si cela devient effectif, comment verrez-vous votre position face à la concurrence des autres compagnies aériennes?
En ce qui nous concerne, nous respectons la loi. Si la réglementation tunisienne change, nous développerons exclusivement de la France vers la Tunisie et de la Tunisie vers la France. Nous suivrons la concurrence sur le marché français qui sera difficile pour nous et également pour Tunisair puisque quand le ciel est ouvert, vous avez des compagnies anglaises ou hollandaises qui peuvent opérer à partir de la France. Le risque est qu’il y a les bonnes low cost et les mauvaises low cost. Mais nous attendons l’ouverture du ciel calmement.
Comment comptez-vous développer la dimension mécène de Transavia en Tunisie?
Grâce à vous. Nous préférons ne pas faire de la publicité mais puisque vous en parlez, il s’agit de lancer un appel à candidature pour des projets solidaires avec des associations. Nous avons consacré quelques milliers d’euros pour aider des jeunes qui exercent des activités scientifiques sur des programmes de développement local comme la médina d’El Guettar, pour soutenir des ONG et des associations. Cela s’adresse à des milieux associatifs, ils peuvent participer aux appels à candidatures dans les projets solidaires. Ceux qui collaborent à ce projet sont bénévoles et chaque euro qui sort de chez nous va directement sur des projets. Sur “Solidaire Transavia“, il y a les conditions de participation et cela s’adresse aux jeunes pour protéger la biodiversité et contribuer à la préservation des sites naturels menacés. Pour qu’il y ait tourisme, il faut qu’on respecte la nature.