La mise à l’index du libéralisme prend la forme, cette fois, avec le dernier livre du Prix Nobel, d’un désaveu académique.
Il sonne la charge sans répit. Le libéralisme se mord la queue, soutient Joseph Stieglitz dans son dernier ouvrage intitulé «Le prix de l’inégalité». Le creusement des inégalités, outre son aspect moral inacceptable, atteint cette fois le cœur du système. Celui-ci ayant mangé toutes ses réserves se prive en paupérisant les classes moyennes et en creusant des écarts énormes entre salariés, d’une capacité de rebond. Il se ferme la porte à une éventuelle reprise.
Comment l’inégalité peut-elle faire imploser le système?
La limite à l’accumulation des richesses
On pensait que le principe de Peter ne s’appliquait qu’aux seuls individus. Le prix Nobel d’économie vient rappeler qu’il s’étend aussi aux systèmes et modes de production. Le “Thatchérisme’’ et les “Reaganomics’’ ont dominé l’univers de l’économie. Ces deux courants, en imposant au monde entier l’option pour un Etat squelettique, ont ouvert la voie à un processus d’accumulation intensive des richesses.
Entre nations d’abord! La CNUCED, cette agence des Nations unies destinée à superviser le commerce et le développement dans le monde, est supplantée par le G20. Dans ce directoire, le cinquième de la population mondiale assure plus des deux tiers du PIB du monde.
Au niveau des pays, ensuite. Près de 1% de la population américaine accapare les 2/3 de la croissance annuelle. Pire que tous les salaires réels des classes moyennes se retrouvent à leur niveau des années 70’. En peu de mots, on peut parler du retour du concept des «200 familles», cette expression désignant pour la France la mainmise des familles possédantes, quelques Happy Few, sur les richesses du pays.
L’ennui est que le libéralisme, en déséquilibrant les mécanismes de la répartition équitable, neutralise son propre dynamisme. En «spoliant» les classes moyennes, il provoque la panne d’un moteur clé de la croissance, à savoir la demande intérieure.
Qui est derrière tout ce processus?
La «voracité» des banques: les prêts prédateurs
Les banques, selon Joseph Stieglitz, sont derrière cette machination implacable. Au motif du seuil critique, les banques ont pris une telle puissance qu’elles peuvent se permettre d’écrémer le marché sans entrave. Leur lobbying politique aux USA est percutant, car il empêche le législateur de remettre en cause leur hégémonie.
Le prix Nobel cite des exemples pertinents. Les banques ont pu faire voter une loi sur l’imprescription de la dette bancaire. Quand un étudiant contracte un crédit d’étude et que par malheur il se retrouve insolvable, les banques ne le lâchent pas. Quand bien même un tribunal viendrait à prononcer sa mise en faillite, le système bancaire soit qu’il lui re-prête un crédit de consolidation -et c’est un cumul d’intérêt qui prend des proportions énorme-, soit qu’il transfère la garantie sur ses parents et se fait payer grassement. C’est une machine implacable.
On connaît son implication dans l’innovation financière et la mise sur le marché des «produits structurés», véhicule financier artificiel qui a précipité le monde dans une crise financière lors de la déconfiture des «subprimes». Comment s’en sortir?
L’austérité est déconseillée
Le prix Nobel considère que l’Etat doit revenir à la manœuvre pour activer la relance. Cependant, il désavoue la voie de l’austérité. Il rappelle, pour cela, que l’austérité n’a jamais embrayé sur la croissance. Pour lui cela ne fait pas de doute, c’est la thérapie à éviter. Elle ne fera qu’empirer la maladie. La solution est dans le redémarrage de la productivité et le rééquilibrage de la répartition. Autrement dit, dans la réhabilitation de l’Etat.
A la question de savoir s’il existe une alternative au libéralisme, l’économiste répond que oui. En toute probabilité, c’est le sujet de son prochain livre. L’auteur accorde, sans hésiter, un bonus au système scandinave. Un plaidoyer pour le retour de l’Etat providence? A suivre.