S&P n’a fait que dire tout haut ce que toute la profession se disait tout bas. Ayant enfreint le tabou de la cachotterie, le système bancaire se trouve bien affranchi pour se réformer. Ira-t-il jusqu’au bout?
Standard and Poor’s, en maintenant le système bancaire tunisien au 8ème rang d’un classement qui va de 1 à 10, n’a fait en réalité que nous apprendre ce que nous savions déjà. D’ailleurs, le système ne faisait que se répéter, hélas, en catimini, les appréciations de l’Agence. Ayant levé publiquement le voile sur les carences et autres handicaps du système, S&P nous a rendu un fier service. L’opinion publique est douchée par la nouvelle. Mais, à présent, elle sait. Alors et pour être concrets, si on allait droit au but.
Que peut-on contre la résilience économique?
Le système bancaire est piégé par la mollesse de la croissance et les carences du système. On ne sait qui doit entraîner l’autre. Dégageons-nous de cette logique sans issue de l’œuf et de la poule et réfléchissons de manière pragmatique. L’économie est à la recherche d’un deuxième souffle qu’elle ne trouve toujours pas. Un frémissement se dessine, et en attendant qu’il se confirme, l’embellie n’est toujours pas au rendez-vous. C’est là une contingence contre laquelle le système bancaire ne peut se protéger.
Il n’en est pas autrement des autres risques, relevés par l’Agence. Le risque systémique, par contre, n’est pas du tout garanti. Le mandat, contesté, de Mustapha Kamel Nabli, a eu un acquis de taille. Il a neutralisé le risque d’assèchement du crédit. Le système fonctionne donc, mais il n’est pas à son régime de croisière, voilà tout. Et, la perspective de voir une hécatombe d’entreprises, asphyxiées par la rareté du crédit, s’estompe. Par contre, avec des affaires qui roulent au ralenti, le secteur peut-il s’accommoder d’une rentabilité qui s’amenuise? Ne pouvant se procurer les moyens de provisionner en puissance, le secteur peut-il trouver une parade à sa sous-capitalisation mise à mal par sa baisse de rentabilité?
Recapitaliser n’est pas forcément restructurer
Il y a bientôt vingt ans que l’on s’essaie à cogiter sur les moyens de renforcer le système bancaire. Et invariablement l’on a toujours penché pour la «solution miracle» de la fusion absorption. La restructuration, sinon rien. Les tenants de cette thèse s‘exonéraient toutefois du devoir d’en démontrer l’efficacité. Rien ne montre a priori que l’augmentation de taille génèrerait un redressement de rentabilité.
L’économie d’échelle est toujours bienfaisante mais est-elle pour autant un gage de performance? La plupart des banques américaines ont des tailles similaires aux banques tunisiennes. Mais toutes sont plus rentables, pour une raison évidente de spécialisation professionnelle. L’ennui est que la solution de la fusion semblait aller de soi, pour ses tenants, pour les banques publiques. Rien n’est moins sûr. Et la fusion n’est pas la panacée. L’expression fétiche derrière laquelle on se réfugiait était qu’il «fallait faire émerger un champion régional». Ce n’est pas l’addition arithmétique des actifs qui détermine un champion mais bien l’avance en expertise professionnelle. La preuve? la BH a pu implémenter son concept en Afrique, et aux premières nouvelles il n’y a pas eu de phénomène de rejet.
Prière donc de relativiser cette option de rapprochement notamment en matière de banques publiques. On a bien renforcé la Foreign Tunisian Bank avec des participations structurantes de la STB et de la BH. Le résultat n’est pas particulièrement probant. La STB, lestée en absorbant la BNDT et la BDET, dont le portefeuille participation n’est pas négligeable, n’a pas réussi une cure de jouvence.
Renforcer le capital-risque et recourir aux emprunts
Le mal du système vient de ce qu’il prend à sa charge la totalité du financement de l’économie. L’ennui est que l’effet ciseau s’est vite joué. L’épargne nationale a vite plafonné et les besoins de financement des ménages et des entreprises ont explosé. Par ailleurs, les entreprises, elles-mêmes sous capitalisées sur-sollicitaient le système bancaire. Plus que jamais l’Etat est appelé à soulager le système en assurant la promotion de vecteurs de capital (Equity), de fonds propres.
Un premier essai avec le fonds «Taehil» a été tenté en 2009, et l’expérience a été mort-née. Le système doit se décharger de cette fonction qui n’est pas la sienne sans s’enfoncer dans cette mission, o combien décriée, de la transformation. Par ailleurs, la recapitalisation des banques évoquée par S&P, approximée à 5% du PIB, ce qui avoisine les 3,5 milliards de dinars, n’est pas hors de portée. Les souscriptions au capital, en l’état actuel de rentabilité des banques, ne peuvent couvrir la totalité des besoins. Mais les emprunts améliorés, dont ceux convertibles, surtout s’ils étaient garantis par l’Etat, sont envisageables. Le marché a une telle soif de papier. Restera le problème de la rentabilité.
Selon nous, il tient à deux élément majeurs. Le premier est celui de l’organisation des banques. Toutes ont un lourd handicap de système d’information, à la traîne. Un système par banque serait pure perte parce qu’il y aurait un surdimensionnement et une sous-utilisation de capacité. L’option «cloud-computing», avec un financement par une institution multilatérale est tout à fait à portée.
La seconde serait d’institutionnaliser le métier de rehausseur de crédit, ces fameux assureurs, qui s’interposent entre le client et son banquier. En créant un business nouveau, on préserverait la qualité du portefeuille crédit des banques. C’est un blindage éprouvé.