Annoncée depuis quelques jours, prévue pour le 13 octobre 2012, et, semble-t-il, retardée, la formation d’une coalition ou d’un front par Nidaa Tounes, Al Joumhoury et Al Massar est sur toutes les lèvres. Mais se révélera-t-elle solide? Analyse.
La coalition Nidaa Tounes-Al Joumhoury-Al Massar tiendra-t-elle le coup? La question mérite d’être posée à l’heure où ces trois partis semblent vouloir établir une coalition.
A première vue, la réponse pourrait être oui. Cette coalition est, selon toute vraisemblance, bâtie en vue d’offrir une alternative sérieuse face au mouvement Ennahdha qu’elle souhaite battre lors des élections générales à venir.
La pratique du pouvoir montre depuis l’installation de la Troïka au pouvoir, fin janvier 2012, que cette autre coalition n’en est pas une. En fait, et cela est apparu dès les premiers jours, Ennahdha est pratiquement le seul maître à bord; c’est lui, et à des exceptions près, qui mène la danse: des propositions de loi à la Constituante aux nominations des gouverneurs, en passant par l’orientation à la politique générale dans le pays.
Et il est de bonne guerre à des partis qui ont une autre vision de la société et une autre façon de faire de la politique de réunir leurs forces pour proposer un autre son de cloche et de battre ce mouvement. Le proverbe le dit bien: l’union fait la force.
Le jeu vaut la chandelle
D’autant plus que le jeu vaut bien la chandelle. Ennahdha n’est plus ce qu’il était. Son président le Cheick Rached Ghannouchi l’a reconnu, fin septembre 2012, dans une interview au quotidien de langue arabe paraissant à Londres, «Al Hayett»: Ennahdha a perdu en termes de popularité. En avançant un argument de taille: «l’usure du pouvoir».
Reste que l’attelage de ses adversaires politiques paraît, du moins par certains endroits, fragile.
D’abord, il s’agit d’un front de circonstance. Un front qui sert une seule et unique cause: gagner les élections. Donc collecter les voix des militants et des sympathisants pour gagner le plus grand nombre de sièges à la future Chambre des députés.
Et qu’elle serait le mal?, pourrait-on se demander. L’objectif des partis qui s’unissent dans un front électoral n’est-il pas celui précisément de gagner le plus grand nombre de sièges en maximisant le nombre de voix qui se portent sur les listes unies dans un front?
Des divergences apparaîtront-elles au grand jour?
Mais sur quel programme de gouvernement peuvent, ensuite, s’entendre Nidaa Tounes, Al Joumhoury et Al Massar? Evidement, on pourrait trouver nombre de lieux communs entre ces trois mouvements: les choix d’un régime républicain, d’un Etat civil, d’une société où l’homme et la femme disposent des mêmes droits, de l’indépendance de la justice, d’une information libre et plurielle… Des terrains sur lesquels ils estiment qu’Ennahdha a peut-être un tant soit peu péché!
Mais qu’est-ce qui pourrait empêcher, en se basant sur ces choix sociétaux, d’unir Nidaa Tounes, par exemple, avec Le Front populaire qui vient de se construire au tour de partis d’obédience nationaliste arabe et de gauche?
Il est à craindre, en effet, qu’arrivée l’heure des choix sociaux ou économiques, des divergences apparaissent au grand jour. Qu’est-ce qui pourrait rapprocher un parti comme Nidaa Tounes, qui semble épouser des choix économiques libéraux avec un parti comme Al Massar issu, pour l’essentiel, d’une mouvance marxiste?
Ces trois mouvements sont, eux-mêmes, aux yeux de certains, enfin, des carrefours idéologiques. Il est à se demander qu’est-ce qui unit, par exemple, un ancien militant d’Afek Tounes (Libéral toute), et un autre de l’ex-Parti Démocratique Progressiste (PDP), tous deux membres d’Al Joumhoury? Le PDP est lui-même passé par de nombreuses mutations de toute manière salvatrices: du panarabisme au socialisme (après la fin des unions ratées entre les pays arabes et la débâcle de juin 1967 face à l’ennemi israélien) et du socialisme (après la chute du mur de Berlin, en novembre 1989) à un certain centre gauche.
De grandes contradictions
Al Massar est lui-même un cocktail. Où en sommes-nous aujourd’hui des «dogmes» des pionniers du Parti Communiste Tunisien devenu Ettajdid après la déconfiture du communisme et la fin du Bloc de l’Est?
Idem pour Nidaa Tounes. Qu’est-ce qui pourrait unir un destourien, qui se reconnaît dans le leader Habib Bourguiba, qui prône le pragmatisme et une société ouverte, et un militant sorti des rangs d’Al Aryadaâ Achaâbia (Pétition Populaire), qui prône l’application de la Chariaa?
Pareil pour bien des fronts, et bien au-delà, de nos frontières, qui recèlent de grandes contradictions. Ceux-ci ont tenu. L’Italie, qui a réussi à faire tenir des gouvernements contre-nature, en est un exemple.
La quête du pouvoir ferait des miracles. Et puis, il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis. Reste que peut arriver le temps où cela craque. L’espoir d’une partie des Tunisiens, qui souhaite qu’il y ait un contre-pouvoir à un mouvement Ennahdha à leurs yeux bien hégémonique, est que le front Nidaa Tounes-Al Joumhoury-Al Massar tienne bon et puisse résister surtout à la guerre des chefs qui pourrait survenir un jour en son sein.
Leur espoir, et c’est pour l’heure leur vœu le plus cher, est que cette nouvelle coalition, ou toute autre, résiste à toutes les intempéries. Pour faire donc jeu égal avec Ennahdha. Ou une autre force dominante. Mais qui sait? Assagi ou non, Ennahdha pourrait s’allier, un autre jour, à Nidaa Tounes ou encore, comme cela a été envisagé par le Cheikh Rached Ghannouchi en personne, dans une interview à la chaîne TWT, à Al Joumhoury. Une manière de dire que la Troïka n’est ni immuable ni encore éternelle.