à Laguiole (Photo : Remy Gabalda) |
[13/10/2012 10:08:41] PARIS (AFP) Du village aveyronnais de Laguiole aux châteaux du Bordelais, en passant par les distillateurs de Pontarlier dans le Doubs, les terroirs français dénoncent “l’usurpation” de leurs noms ou de leur patrimoine à des fins commerciales par des sociétés venues d’ailleurs.
“Il y a une notion qu’il ne faudrait surtout pas oublier dans ces dépôts de marque: c’est le parasitisme et la confusion qu’il cause”, a expliqué à l’AFP le chef étoilé Michel Bras, un enfant de Laguiole qui ne peut utiliser le nom de sa commune, déposé par un entrepreneur parisien en 1993.
“Si je veux développer des friandises, des gammes de verres ou de vaisselle, je ne peux pas utiliser le nom de Laguiole. Je le prends comme un kidnapping”, dénonce-t-il, tout en se déclarant “blessé, bafoué, usurpé”.
A la mi-septembre, le tribunal de grande instance de Paris a refusé d’accorder à Laguiole l’usage de son nom, en le considérant générique.
Cette commune de 1.300 habitants, réputée pour ses couteaux pliants siglés d’une abeille, a réagi en déboulonnant les panneaux d’entrée de la localité.
“Les gens de Laguiole ne peuvent comprendre ou accepter de payer des royalties à quelqu’un pour utiliser son nom. Le bon sens paysan de chez nous dit qu’à un moment donné, on souhaite rester maître chez nous”, déclare Vincent Alazard, le maire de la commune.
De son côté, Gilbert Sjajner, l’entrepreneur parisien, réfute les accusations. “Je ne fais que respecter la loi”, affirme celui qui vend toutes sortes de produits sous le nom de Laguiole, du linge de maison au barbecue, et qui affirme avoir créé 130 emplois en France.
“A aucun moment ma démarche n’a été inspirée par une quelconque volonté de prendre le nom d’un village français, mais plus prosaïquement d’évoquer le nom d’un couteau”, assure-t-il, tout en affirmant que les couteaux Laguiole étaient “dépourvus de notoriété en 1993”, quand il a déposé le nom.
Protéger aussi les savoir-faire
L’indignation des habitants Laguiole est remontée jusqu’au gouvernement et la ministre de l’Artisanat, Sylvia Pinel, s’est rendue lundi dans l’Aveyron. “Le redressement économique de la France doit passer par la protection de notre économie, nos savoir-faire et nos emplois”, y a-t-elle déclaré. Selon elle, “une mesure législative sera bientôt proposée (…) pour que les indications géographiques protégées (IG), qui ne concernent aujourd’hui que les produits alimentaires, soient étendue aux produits manufacturés”.
Le président de la commission des Affaires économiques de l’Assemblée nationale, François Brottes, a confirmé la nécessité de légiférer “pour protéger au moins le nom des villes et des savoir-faire historiques qui y sont attachés”.
âteau Lafite – Rotschild, en mai 2012 à Pauillac près de Bordeaux (Photo : Jean-Pierre Muller) |
Mais le gouvernement français devra encore convaincre Bruxelles où la Fédération des grands vins de Bordeaux (FGVB) livre actuellement une bataille contre l’importation dans l’Union européenne de vins américains portant la mention “château” et accuse la Commission de “brader” cette mention.
Les Etats-Unis demandent depuis 2010 de pouvoir exporter vers l’Europe des vins portant l’appellation “château”, après avoir pu en bénéficier de façon temporaire entre 2006 et 2009.
“Il s’agit d’une distorsion de la concurrence, une tromperie du consommateur qui n’aurait pas le recul de la connaissance de la règle pour identifier les produits”, a affirmé Christian Paly, de l’Institut national de l’origine et de la qualité (INAO).
En Franche-Comté, ce sont les Suisses qui ont suscité l’émoi en déposant une indication géographique pour l’absinthe.
“Si cette démarche aboutissait, cela signifierait que seuls les producteurs de la région suisse du Val-de-Travers seraient habilités à produire et commercialiser de l’absinthe sous ce nom”, déclare Annie Genevard, députée du Haut-Doubs, où se trouvent deux distilleries d’absinthe.