La
scène
politique nationale est en pleine effervescence. Le danger guette la
Constitution. Deux projets essaient de se neutraliser. Islam politique contre
citoyenneté. La Tunisie risque de perdre son individualité au motif de faire
triompher son identité. Le peuple, souverain, doit se mobiliser pour trancher.
L’Etat est à la recherche de stabilité et de pérennité. La situation actuelle
n’offre ni l’une ni l’autre. On voit une ANC totalement déconnectée des soucis
du peuple et quasiment sous tutelle. Des formations politiques, encore possédées
par le démon de la politique politicienne, s’escrimant pour des intérêts
partisans. Et, un peuple, vaillant comme en janvier 2011 quand il s’est pris en
mains pour pallier l’Etat alors groggy, qui continue à crier ses peines et ses
douleurs et qui pourrait se remettre à gronder sa colère de la manière que l’on
connaît.
Dans ce magma, porteur de tous les périls, où toutes les options restent
plausibles, peut-on sauver la transition démocratique, c’est-à-dire l’objectif
suprême du mouvement du
14 Janvier?
L’Islam politique contre l’Etat de droit
On ne va pas se voiler la face, l’état d’instabilité n’est pas fortuit. Il est
le fruit d’une friction extrême. Le mystère est trop clair, l’unité nationale
est en train de voler en éclats. L’Islam politique est en train de se faufiler
et d’infiltrer le texte constitutionnel afin d’y prendre ses quartiers. Et
alors, on pourra dire adieu à l’Etat de droit.
La bataille du destin est là, pas sur le terrain social, quand bien même il est
sous haute convulsion. C’est l’Etat qui est en danger, parce que le modèle
social risque d’être défiguré. Deux formats sont en compétition.
L’Islam politique est à deux doigts de gagner, ses défenseurs sont en place,
c’est-à-dire dans les centres de pouvoir. L’Etat de droit, porté par la société
civile et quelques partis politiques, reste en dehors des cercles de décision.
Ils sont pris de court, car les acteurs de l’Islam politique sont à pied
d’œuvre, le chrono ne joue pas en leur faveur.
Que reste-t-il aux supporters de l’Etat de droit? Après avoir contribué à lever
le voile sur le danger encouru par la Constitution et après en avoir instruit
l’opinion publique, ils doivent mobiliser le peuple. Source de souveraineté
nationale, il est seul habilité à arbitrer la question en se dressant contre
toutes les tentatives de malveillance.
Comment le mobiliser? Diverses initiatives ont été lancées en faveur d’un
dialogue entre les forces politiques, mais jamais pour faire participer le
peuple. L’appel de Nidaa Tounès, pour un meeting avec les partis pour lesquels
l’intérêt patriotique prévaut sur toutes les autres considérations, peut aboutir
à une sensibilisation populaire. Passée cette chance, on peut craindre le pire.
La voie consensuelle, non l’affrontement
L’Islam politique et l’Etat de droit sont antinomiques. Ils représentent deux
modèles de société opposés. Ils ne présentent aucune zone d’interférence. Par
conséquent, l’un des deux doit quitter la scène. C’est dans cette perspective
qu’Ennahdha et consorts cherchent par tous les moyens à neutraliser Nidaa Tounès,
porteur du projet de l’Etat de droit, en le diabolisant par tous les bouts.
L’ennui est que Nidaa Tounès aborde la question sous le prisme du dévouement à
la patrie. Toute sa stratégie en découle, dont son plaidoyer en faveur du
consensus. L’affrontement ferait basculer le pays dans la spirale de la
violence. Quand on sait que l’état d’urgence a été encore reconduit pour ce mois
d’octobre, qui comprend la date polémique du 23 et de ce qui se dit autour de la
légitimité électorale, on peut comprendre le calcul, tout de sagesse de Nidaa
Tounès.
Associant Al Joumhouri et Al Massar à valider, avec lui, le danger
constitutionnel, il met en avant l’essentiel avant le principal. La nature de
l’Etat et la nature du régime politique à venir détermineront la nature du
dispositif institutionnel.
La démocratie est en jeu. La sauver est la mère des batailles. Présenter, comme
le prétendent des voix du Front populaire le face à face du pôle patriotique et
du pôle islamiste comme un combat des droites, est un leurre. Le camp islamiste
a déjà réactivé la «rue arabe», sa principale machine de guerre. On l’a vu lors
du 14 septembre. Le front populaire a mis en route sa force de frappe pour la
contestation. Cette posture ne peut conduire que vers l’affrontement et par
conséquent la violence.
Dans une ambiance chaotique, un coup de force des protagonistes de l’Islam
politique devient envisageable. La supériorité de la voie consensuelle est
qu’elle peut amener, si elle n’est chahutée entre temps, à un engagement public
en faveur des options favorables aux vœux de la majorité du peuple et qui feront
triompher l’Etat de droit.
L’instant est hautement stratégique et strictement constitutionnel. Le regarder
dans le prisme de la gauche comme étant propice à l’affrontement pour faire
avancer le combat des travailleurs, c’est prendre le risque de sacrifier la
cause du peuple. L’on ne doit pas disperser l’opinion. Celle-ci doit d’abord,
pour sauver les meubles, faire valoir l’Etat de droit. Ensuite, elle aura toute
la vie devant soi et fera les choix qui lui plairont à l’abri d’une garantie sur
la stabilité et la pérennité de l’Etat.