La dernière interview du président de la République provisoire, Mohamed Moncef Marzouki, était censée calmer les esprits et rassurer le peuple à quelques 48 heures de la date symbolique et fatidique du 23 octobre. Entre ceux qui pensent que sa prestation était un coup de force et ceux qui estiment que c’est un coup pour rien, il y a ceux qui veulent lui donner une chance. Des trois présidents, il est celui qui ose, dérape autant que propose. Que veut Moncef Marzouki et que peut-il vraiment?
Si certains pensent que le président de la République, connu pour être un fervent défenseur des Droits de l’Homme est revenu à ce qu’il sait faire de mieux, c’est gagné! Il a mis un coup de pied dans la fourmilière et a reconnu le lynchage du député de Nidaa Tounes à Tataouine. D’un coup, il a balayé la mascarade «des crises cardiaques» qui tuent pour protéger la révolution et mis un terme aux déclarations des membres d’un gouvernement aux abois qui multiplient les bourdes.
Il a surtout désavoué son parti en faisant une volteface par rapport à la question de l’exclusion des anciens du RCD notamment, et s’est inscrit en faux par rapport aux comités de protection de la révolution. Il ne restait plus alors à Hamadi Jebali qu’une seule option, celle de valider leur dissolution malgré les nombreuses voix au pouvoir qui s’égosillaient à légitimer leur existence, comme Rafik Abdessalem, ministre et gendre de Rached Ghannouchi.
Le président du gouvernement, Hamadi Jebali, a toutefois précisé qu’il ne s’agissait que de son opinion personnelle. A quoi joue-t-on si ce n’est à démontrer que le navire Tunisie n’a pas de capitaine? Le pays est tellement peu et mal gouverné avec la Troïka qu’il s’enlise dans l’anarchie et la pauvreté.
La Tunisie est-elle encore gouvernable? Qu’a fait cette équipe transitionnelle pour le pays? 20% de ce qu’elle devait, assure Moncef Marzouki! Un bilan qui recale. Un bilan qui fait mal.
En tentant d’être réaliste, Marzouki s’est évertué à brasser large et a tellement voulu rassembler qu’il est tombé dans l’excès. Mais celui de manger à tous les râteliers, en multipliant des clins d’œil surprenants à Bourguiba, des appels du pied aux hommes d’affaires ou aux salafistes, lui porte préjudice. Que pense sa base qui a fortement cru en ses positions? Voit-elle un président qui se positionne en tant que celui de tous les Tunisiens ou juste un “retourneur“ de veste de plus? En voulant se démarquer de ses alliés d’hier, n’a-t-il pas sacrifié une grande partie de ses principes?
Les réponses du président de la République se sont rapidement transformées, le temps qu’a duré cette interview, en propos de campagne politique. Le format choisi l’a desservi. Marzouki était prêt à aller plus loin. Dans sa franchise et son émotion palpable, il était prêt à plus, si seulement il avait en face les bonnes questions. Ceci dit, il est indéniable qu’il a marqué des points alors qu’il pouvait marquer l’Histoire.
Le pays traverse une phase difficile et il s’agissait pour le président provisoire de «s’élever» à un rang qu’il ne parvient toujours pas à assumer. Etre ou se vouloir président de tous les Tunisiens, ce n’est pas seulement prendre de la distance pour analyser et commenter les faits. Ceux-ci sont à la charge des médias, des partis politiques, de la société civile qu’il a finement sollicitée.
Pour marquer les esprits et être justement à la hauteur de l’évènement, Marzouki se devait de passer à une vitesse qu’il n’a pas osé ou pu enclencher, peut-être pas encore…
Moncef Marzouki se devait de rassurer le peuple qui a peur. Il est le grand patron de l’armée et garant de la souveraineté de l’Etat. C’était à lui de signifier que le feu était rouge, et pas forcément orange comme il a préféré le faire. Alors que les petites magouilles se trament dans les coulisses du pouvoir et polluent la démocratie à construire, Marzouki a tenté de marquer son terrain en disant qu’après le 23 octobre, il allait y avoir le 24. Bien évidement, il y aura aussi le 25, le 26…
Les pouvoirs trop restreints qu’a acceptés Moncef Marzouki le limitent à un rôle de figurant, et ce n’est pas en alternant gesticulation et tactique politique qu’il peut tenir indéfiniment dans une position de président-opposant. A un moment ou un autre, il faut aligner la parole à l’action.
A la veille d’annonces de manifestations et de contre-manifestations pour le 23 octobre et sur fond de violences politiques, de contestations sociales, de crise économique et de probables affrontements, Marzouki, en prenant le peuple à témoin, pourrait devenir une personne clef pour la suite des événements. Mais osera-t-il franchir ce cap? Du moins, a-t-il vraiment les reins suffisamment solides pour le faire?
Pour le moment, il semble ne pas avoir tranché sur plusieurs sujets. Alors que beaucoup pensent que s’il n’est pas allé plus loin, c’était pour soulager sa monture. Il a tenu à ne pas indisposer outre mesure ses amis d’avant-hier. Le président n’a pas tranché sur les sujets qui fâchent et se réjouit des concessions que fait Ennahdha sur la Constitution. Il semble oublier que l’objectif de cette Assemblée constituante était de faire une avancée historique en matière de droits et non pas de batailler pour garantir les acquis!
Marzouki a prôné l’accélération de la justice transitionnelle et a tenté de banaliser les dires de Rached Ghannouchi sur la fameuse vidéo prétextant que ce dernier était libre dans ses idées. «Libre dans ses idées…». Mais, justement quelles idées? Assurément pas celles dont ils ont convenus à un moment où, par la révolution, il avait pris l’engagement au nom du peuple Tunisien de le faire recouvrer sa souveraineté et l’exercer pleinement.