Au lieu de rester au niveau des grands principes et de la morale, comme il l’a fait, lors de son interview radio-télévisée du 19 octobre 2012, le chef de l’Etat pouvait agir en prenant la population à témoin, convoquer le chef du gouvernement ou le ministre de l’Intérieur, annoncer qu’il souhaite l’ouverture d’une enquête, appeler les uns et les autres à agir, crier sa colère…
Vendredi 19 octobre 2012, le président de la République provisoire, Mohamed Moncef Marzouki, s’est adonné à un drôle d’exercice. Interrogé par trois journalistes de la radio et de la Télévision tunisiennes (Radio Tunis, Al Watanya 1 et Nessma Tv), il a été, au contraire de ses prestations médiatiques passées, peu critique et plus rassembleur.
Souhaitant se placer bien au-dessus de la mêlée –le président de la République ne se doit-il pas de le faire?-, il a même rendu un hommage indirect certain au père de la nation, le premier président de la République, Habib Bourguiba, dont le portrait est resté à sa place au Palais de Carthage.
S’il a rendu également hommage à la Troïka, dont il est du reste issu, il a également caressé dans le sens du poil les autres formations politiques qui ont toutes à l’esprit l’intérêt général du pays. Evoquant le rendez-vous du 23 octobre 2012, il a exprimé tout son optimisme concernant la négociation de ce tournant: chaque fois que nous sommes au bord du précipice, a-t-il déclaré, le génie des Tunisiens nous évite de plonger dedans.
Contre les lois anti-terroristes
Même le gouvernement, dominé par son allié Nahdaoui, a eu droit à des félicitations indirectes. Le pays n’est-il pas en train de remonter la pente: de réaliser de la croissance après une période de récession au cours de laquelle les chiffres étaient négatifs.
Les salafistes ont, par ailleurs, eu, quelque part, un mot gentil. Le président provisoire a rappelé les excuses qu’il a faites à ces derniers en prononçant à leur encontre le qualificatif de «microbes». Il a ensuite dit tout son désaccord quant au maintien des lois anti-terroristes «imposées de l’extérieur» et selon lesquelles les personnes qui ont attaqué le 14 septembre 2012 l’ambassade américaine à Tunis seront jugés.
Mais à force de plaire à tout le monde ne finit-on pas par ne plus plaire à personne? C’est sans doute oublier que l’homme aux idées bien tranchées prépare depuis quelque temps sa réélection. Il s’agit de ratisser large. L’exercice lui réussit quelque fois lorsqu’il tape sur les doigts de quelques uns du paysage politique dont il fait partie dont ses alliés jugés encombrants d’Ennahdha.
Réparer les torts
Il n’a pas manqué de dire, le 24 août 2012, à l’ouverture du 2ème congrès de sa propre formation, le Congrès Pour la République (CPR), tout le mal qu’il pense de l’action de ses alliés islamistes qui ressemble comme deux gouttes d’eau à celle du président déchu, Zine El Abidine Ben Ali, provoquant le courroux de trois ministres appartenant à Ennahdha. Ceux-ci ont critiqué les lieux du congrès en écoutant les propos du chef de l’Etat.
Marzouki n’abandonne pas pour autant cet exercice puisqu’il a récidivé, le vendredi 19 octobre, lors de sa prestation radio-télévisée, en parlant de «lynchage» à l’endroit de la mort de Lotfi Naguedh, secrétaire général du parti Nidaa Tounes et de l’Union Tunisienne des Agriculteurs à Tataouine. Un qualificatif capable d’introduire le doute dans la version donnée par les services de la médecine légale de la région (“mort par arrêt cardiaque“) et défendue le soir même par des représentants d’Ennahdha qui ont affirmé qu’il fallait attendre le verdict de la justice.
Reste que l’on peut se demander ce que se doit de faire, en ce cas, un président de la République. En effet, et même s’il n’a qu’un pouvoir limité, le président de la République dispose dans une société comme la nôtre nourrie à la sève du patriarcat un pouvoir moral certain.
En clair: au lieu de rester au niveau des grands principes et de la morale, il pouvait agir en prenant la population à témoin, convoquer le chef du gouvernement ou le ministre de l’Intérieur, annoncer qu’il souhaite l’ouverture d’une enquête, appeler les uns et les autres à agir, crier sa colère…
Nous pouvons dire autant de la critique à peine voilée du fonctionnement de l’administration combien tatillonne respectueuse de nombreuses démarches longues et fastidieuses. Le chef de l’Etat les a évoqués pour expliquer les retards dans l’amélioration du vécu des Tunisiens notamment en matière de lancement de projets.
Certes, prendre de la hauteur c’est toujours bon. Certes mettre le doigt sur le mal c’est aussi très bon. Mais cela ne sert strictement à rien si cette attitude n’est pas suivie et accompagnée par des mesures concrètes en vue de réparer les torts. Le président Marzouki l’a bien fait et a réussi dans cet exercice lorsqu’il s’est agi de changer, en juillet 2012, le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT).