«Plus qu’un processus de transformation destiné à adopter une nouvelle approche dans la construction de la Tunisie nouvelle, l’enjeu est de concevoir et de mettre en œuvre, de manière globale et intégrée, des mécanismes qui doivent aider notre pays à mieux savoir se développer. Il s’agit de construire une nouvelle société qui stimule l’apprentissage, l’adaptation, l’ouverture et la participation, à travers le travail, la concertation, l’appropriation, la responsabilisation et la reconnaissance mutuelle». C’était dans la préface d’une note d’orientation intitulée «10 Grandes Idées pour la Prospérité et la Justice Sociale» relative à la stratégie de développement économique et social réalisé par le gouvernement de Béji Caïd Essebsi avant son départ.
Le modèle économique tunisien avait atteint ses limites et ce depuis quelques années déjà. Qui ne le savait pas? Qui n’en était pas conscient? La légitimité du gouvernement devait lui permettre, au travers d’une stratégie efficiente de redynamisation de l’économique, de gagner l’adhésion des acteurs sociaux et opérateurs économiques et rétablir la confiance des investisseurs tout en engageant des actions concrètes pour améliorer les conditions de vie dans les régions les plus défavorisées du pays.
Face aux problèmes sociaux persistants, à la fragilité sécuritaire et aux difficultés économiques qui mettent en péril le processus de transition démocratique lui-même, face à la pauvreté à l’augmentation du taux de chômeurs et à une quasi impossibilité de le résorber rapidement, les actions entreprises par le gouvernement ont-elles eu l’effet escompté?
«Le bilan n’est pas terrible», affirme un expert économique au vu des indicateurs de prix, de la croissance, de l’emploi, du taux de pauvreté et du rating international.
Pour ce qui est de la croissance, il n’y aurait pas eu de croissance car on parle de 3,3% de croissance par rapport au premier semestre 2012 mais en comparaison de quoi? Du premier semestre 2011 qui était exceptionnel et qui a connu une croissance négative de 3%, ce qui revient à dire que la croissance réelle est de pratiquement 0, donc inexistante. Quant au taux de chômage à l’origine de 13%, remonté à 19% et réduit selon le gouvernement de 0,5, c’est archifaux car un véritable emploi est celui où on crée de la richesse et c’est un emploi nécessité par une entité économique, que ce soit une entreprise privée ou un établissement public.
Or il n’y a pas eu création d’entreprises mais on a forcé des entreprises publiques comme la CPG, la STEG et autres à recruter massivement pour apaiser la colère sociale et calmer les tensions. En contrepartie, le risque réel est de mettre à genoux les entreprises publiques qui n’ont pas besoin de main-d’œuvre supplémentaire. «Lorsqu’il y a un surplus de personnel, la production ne peut qu’être négative car les employés vont se concurrencer entre eux et se disputeront les postes. La qualité s’en ressentira ainsi que l’atmosphère de travail. Les excédents d’emploi dans la fonction publique nous renvoient en réalité au scénario grec dont les conséquences ont été un endettement massif et un déficit budgétaire notoire». Sauf que dans le cas de la Grèce, Il y a eu l’Union européenne qui a sauvé les meubles en payant le prix; quant à la Tunisie, «liha Rabbi»…
Un rating international négatif et un déficit commercial exorbitant
Le rating international n’a pas été non plus tendre avec la Tunisie, et le dernier rapport de Fitch Ratings laisse présager une notation sous pression, ce qui est catastrophique car cela annonce une retro-dégradation prochaine. Les rapports du FMI, de Standard and Poor’s concernant la notation du système bancaire et financier, qui n’a pas à ce jour engagé les réformes structurelles nécessaires à son redressement, ne laissent pas non plus augurer de bons signes.
Quant au déficit commercial, qui augmenté en un semestre de 52%, il ne serait pas non plus rassurant, selon les experts économiques; le déficit courant (endettement) a, pour sa part, doublé, il est passé à 6% et va bientôt atteindre les 8%. «Nous allons allègrement franchir les lignes rouges». Le taux d’inflation global aurait atteint les 7% mais plus grave encore, celui central (le taux d’inflation excluant les produits subventionnés) serait de 8% et nous irons crescendo s’il n’y a pas de solutions immédiates pour la relance économique.
Le déficit budgétaire aujourd’hui de 6%, risque, pour sa part, de s’élever à 8 ou 10%, ce qui aura pour conséquences naturelles plus d’inflation et plus d’endettement.
Et pour terminer au niveau des réserves de change, nous sommes passés de 180 jours d’équivalent importations en 2009 à 147 jours fin 2010 et à 92 jours aujourd’hui malgré les nouveaux crédits contractés cette année. Car les emprunts en devises vont directement vers les réserves de change, lesquelles ont aujourd’hui fondu de manière accélérée. Le moyen de renflouer les réserves de change est celui de l’endettement, ce qui n’est pas approprié car «nous empruntons pour consommer et nous ne créons pas de richesses, et de nouveau, c’est le scénario grec, puisque le pays compte sur les prêts d’ailleurs de l’ordre de 3.700 millions d’ici novembre».
Pour renflouer les réserves de change, le gouvernement aura donc à redresser le commerce extérieur, par une reprise des exportations et une baisse du taux d’importations.
Toutefois et pour ne pas se complaire dans un alarmisme outrancier, il faut reconnaître que l’économie tunisienne peut être redressée, et la réponse est simple: par la clarification de la vision politique, en mettant sur la table un programme politique clair, en fixant les échéances électorales et en mettant en marche le processus de préparation des prochaines élections. Il faut surtout éviter d’entretenir l’ambiguïté, car si la Troïka ou ses vis-à-vis dans l’opposition n’arrivent pas à un compromis au plus tôt, l’effondrement économique du pays présagera d’un autre encore plus grave, celui de l’effondrement social et de l’impossibilité de réussir la transition démocratique.