L’avenir démocratique se joue à l’heure actuelle, au moment où les constituants sont en train de déterminer les choix constitutionnels structurants de la vie politique dans notre pays. Parmi les choix actuellement en débat, on peut observer l’expression de certaines positions qui privilégient le communautarisme contre l’universalisme.
Gros temps, sur les libertés?
Une partie à haut risque se joue dans l’enceinte de la Constituante. La transition débouchera-t-elle sur la démocratie? Le film des événements depuis la rédaction du texte organisant les pouvoirs provisoires, jusqu’au débat actuel sur l’inclusion de la référence à la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, laisse craindre une orientation communautariste. Ce coup de barre «identitaire», outre qu’il étouffera l’individualité nationale, peut grever le plein exercice des libertés demain. Outre cela, il peut nous mettre en démarcation ethnique, par rapport au reste de l’humanité.
Alors question: le berceau du printemps arabe peut-il se mettre au ban de l’universalisme?
Le défi implicite: défier l’incompatibilité avec la démocratie
Nous ne pensons pas nous tromper, en soutenant que le désir de l’écrasante majorité des Tunisiens après le 14 janvier était de découvrir, enfin, une fois pour toutes et pour la vie, la démocratie. Envers et contre le bon sens, nous avons accepté un chemin de transition dans le style «chapeau de magicien». Cette envie de démocratie était si dévorante que l’on a validé la réécriture de la Constitution, pensant mettre enfin les bases solides et saines d’une démocratie. Cette envie était si pressante que nos anciens nous disaient que nous n’étions pas mûrs pour la mériter, et nos détracteurs que nos valeurs lui sont incompatibles.
Le chèque en blanc, pour la réécriture du texte, émanait donc d’un préjugé favorable du peuple. La soif de démocratie était telle que le peuple s’est dévoué pour cette solution radicale. Au lieu du replâtrage, on optait pour une nouvelle configuration. Mais l’ennui c’est qu’en déléguant sa souveraineté, il n’a pas effacé sa mémoire et se souvient des repères contenus dans la première Constitution de 1959. Et, précisément, il s’attendait, comme tout un chacun qui délègue, de bonne foi, à ce que ses volontés soient respectées. Il voulait avoir mieux que dans le texte ancien. Cela coule de source et tombe sous le sens.
Quid de ce qui se prépare?
Le choix de la page blanche, quelle déconvenue!
N’allons pas par quatre chemins. Les constituants, en refusant de prendre en considération tous les projets présentés par les constitutionnalistes les plus chevronnés de Tunisie, avaient-ils une idée derrière la tête? En refusant de prendre des «antisèches» pour garnir le texte constitutionnel, et ayant fait le choix de la page blanche, les Tunisiens ont pu penser que ça y est, cette fois on va trouver le texte de nos rêves pour une liberté absolue, celle-là même dont on a toujours rêvée et qu’on nous a toujours fait miroiter, sans jamais nous l’accorder.
Or, on découvre que la page blanche était écrite avec de l’encre magique, celle qui se révèle à l’œil, après un certain temps. Beaucoup de ce qui a été proposé, jusque-là, n’abonde pas, a priori, dans le sens que la majorité des Tunisiens attendait.
L’exemple essentiel est celui de la référence à la déclaration universelle des doits de l’homme. Dans le texte de 1959, on commençait par rappeler notre appartenance à l’humanité et notre attachement aux Droits de l’Homme, et ensuite on précisait notre trait d’identité. Peu nous importe que le texte ait été bafoué. Il a au moins existé. Nous étions une partie de l’humanité, mais que, par ailleurs, nous relevions d’une communauté arabe et musulmane.
A l’heure actuelle, on semble vouloir inverser l’ordre. Dès lors que l’on va apparaître comme, d’abord et avant tout, une communauté arabe et musulmane, on fermera définitivement le chapitre à l’universalisme. Nous choisirons l’enfermement identitaire. On connaît toutes les dérives de ce choix, mais la plus importante est celle de nos options en matière de relations internationales.
Quels périls pourraient naître de l’altération du paradigme des relations internationales?
Le choc des civilisations
A ce niveau, il faut rappeler que la Tunisie a pu avoir les coudées franches pour faire des propositions très écoutées en matière de résolution des conflits entre Etats. Notre position pour la résolution du règlement du conflit israélo-palestinien est inattaquable. Notre appui de la cause namibienne ne souffre aucune partialité, non plus. En Namibie, les Afrikaners, en restituant sa souveraineté au pays, ont continué à coloniser ses terres. En référence à son parcours de lutte nationale, notamment à sa dernière touche, à savoir la nationalisation des terres, la Tunisie a pu soutenir que la Namibie devait aussi récupérer son sol pour que son indépendance soit achevée. Là, encore l’opinion internationale ne nous a pas désavoués, ne trouvant rien à redire.
Demain, si la Constitution à naître nierait d’abord notre appartenance universelle nous réfugiant dans notre périmètre identitaire, on pourra nous rétorquer que nous ne nous appuyons pas sur des choix de justice mais de solidarité ethnique ou religieuse. De fil en aiguille, nous pourrons nous retrouver dans cette maudite configuration de choc des civilisations. Il n’y pas besoin d’aller plus loin et de faire comme dans les petites classes, d’essayer d’imaginer, in fine, pour ce texte. Tout le monde connaît la suite.