Tunisie – Politique : C’est toujours perfectible

 

troika_MKN_baghdadi-mahmoudi220.jpgL’expérience que connaît le pays depuis le 23 octobre 2012 a ceci d’intéressant que tous ceux qui sont candidats au pouvoir doivent accepter deux choses: se soumettre au vote des Tunisiens et accepter de faire des concessions. Et c’est déjà une révolution. L’enrichissement de cette première expérience démocratique produira tôt ou tard un meilleur rendu. De ce fait, l’expérience tunisienne, et tout le monde en convient, est perfectible.

On a beau lui ressasser les problèmes par lesquels passe le pays depuis les élections du 23 octobre 2011 (insécurité, cherté de la vie, ralentissement de l’économie…), rien n’y fait. Riadh B. pense que la Tunisie est quand même bien partie. Fonctionnaire de son état, il avance toujours le même argument: «Il y a seulement deux ans, je faisais attention à ce que je disais. Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Je critique maintenant tout le monde. Y compris Ennahdha pour qui je n’ai pas voté».

Et si Riadh avait quand même raison? Pour nombre de Tunisiens, certaines images ne quitteront pas leur esprit. Celles de la maturité d’un peuple qui est parti comme un seul homme le 23 octobre 2011 pour élire l’Assemblée Nationale Constituante.

On sentait l’artificiel

Beaucoup d’entre nous se souviennent encore de ces longues files devant les bureaux de votes installés dans les écoles, collèges et autres lycées du pays. Certains sont venus malgré un handicap ou un âge bien avancé. On a ainsi vu des femmes et des hommes s’appuyant sur une canne. Ou encore avancer comme une tortue sur un tabouret en plastique, qu’ils ont ramené de chez eux, avançant carrément assis dans les files qui se constituaient sous les préaux des écoles.

Jamais de son histoire la Tunisie n’a connu un tel événement. «Avant l’élection de l’ANC, se souvient Riadh, on ne se pressait pas pour élire un président de la République, des députés ou des conseillers municipaux. Les cours des écoles aussi bien que les salles, où se faisait le vote, étaient vides. On sentait l’artificiel».

Autre élément mis en exergue par Riadh B.: l’alternance. Pour la première fois dans son histoire, la Tunisie a connu une autre majorité que celle qui était aux commandes du pays depuis l’indépendance. Même si l’on ne peut parler vraiment d’alternance: aussi bien sous Ben Ali que sous Bourguiba, les gouvernements n’étaient là par la volonté du peuple, mais par celle du Prince.

Ennahdha a accepté d’exaucer le vœu du président

Même toute symbolique, cette alternance est un acquis important. Puisque la Troïka n’est pas éternelle. Un autre jour, une autre majorité peut venir au pouvoir. Dans ce même ordre d’idées, la Constitution d’une coalition est un autre acquis. L’expérience vécue depuis l’entrée en fonction du gouvernement Jebali, à la mi-décembre 2011, est riche en enseignements.

Certes, Ennahdha a dominé et domine la Troïka, imposant souvent ses vues, mais le fait que ce mouvement ait choisi de partager constitue une grande avancée. Ennahdha a d’ailleurs souvent reculé lorsque ses partenaires, que ce soit le Congrès Pour la République (CPR) ou Ettakatol, ont froncé le sourcil. Comme lorsque le président provisoire de la République, Mohamed Moncef Marzouki, a menacé, en juin 2012, de démissionner après l’extradition de l’ancien Premier ministre libyen, sous le règne de Kadhafi, Baghdadi Mahmoudi. Ennahdha a accepté d’exaucer le vœu du président en acceptant de changer le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT), Mustapha Kamel Nabli. Celui qui le remplacera, Chedly Ayari, a été, d’ailleurs, le candidat, assure-t-on, du président de l’ANC, Mustapha Ben Jaafar. Ce dernier obtiendra, par ailleurs, ce qu’il souhaite lorsqu’en janvier 2012, il devient le président de la Commission de la rédaction de la Constitution. Celle-ci avait un président tout désigné: Habib Kheder du mouvement Ennahdha. C’était toutefois méconnaître la volonté du président de l’ANC qui entendait et contrôler le fonctionnement de cette commission et être auréolé un jour de l’avoir dirigé. Et donc d’avoir été le père de la première Constitution démocratique du pays. Il a menacé de démissionner. Et obtenu gain de cause.

Ces épisodes nous renseignent sur une nouvelle donne de la politique tunisienne: le paysage politique étant éclaté, celui qui veut gouverner le pays est obligé de faire avec. Et donc de partager. Il n’y a plus de place pour un pouvoir absolu.

Evidement, et on ne cessera de le dire, tout n’est pas pour le mieux. Mais l’expérience que connaît le pays depuis le 23 octobre 2011 a ceci d’intéressant que tous ceux qui sont candidats au pouvoir doivent accepter deux choses: se soumettre au vote des Tunisiens et accepter de faire des concessions. Et c’est déjà une révolution.

Gageons que l’enrichissement de cette première expérience démocratique produira tôt ou tard un meilleur rendu. De ce fait, l’expérience tunisienne, et tout le monde en convient, est perfectible.