Ce proverbe chinois, qui critique ceux qui s’intéressent davantage à leur pouvoir qu’à faire progresser leur peuple, m’est revenu à l’esprit au regard du discours réducteur que certains hommes politiques, pseudo-historiens et médias ont tenu à l’endroit de Bourguiba et à son rôle dans la bataille de Bizerte.
La commémoration, cette année, de l’Evacuation de la base navale de Bizerte par le dernier soldat français, a été, effectivement, pour certains esprits malades, une autre opportunité pour cracher leur haine et leur venin sur le fondateur de la Tunisie moderne, le leader Bourguiba, l’accusant tantôt d’avoir concocté «sa petite guerre de libération» à Bizerte et tantôt d’avoir sacrifié, selon eux, froidement, «la vie de dizaines de milliers de jeunes», bien, disent-ils, «la vie des dizaines de milliers de jeunes» envoyés au champ de la bataille sans aucune formation militaire, mettant en doute, arbitrairement et sans aucun document à l’appui, les 650 martyrs et les 1.655 blessés déclarés officiellement, du côté tunisien.
La déclaration qui irrite le plus est venue de Rached Ghannouchi, leader du mouvement Ennahdha lequel a toujours voué au Combattant suprême une haine meurtrière. Il a déclaré que les jeunes tombés dans le champ de bataille étaient «morts à cause du narcissisme de Bourguiba». N’insultons pas l’Histoire.
Pourtant, il aura suffi pour le chef des nahdhaouis de lire dans une simple encyclopédie sur le net que la bataille de Bizerte a été certes sanctionnée par une victoire de l’armée française sur le terrain mais aussi par une grande victoire politique et géostratégique pour Bourguiba.
Retour sur cette guerre des quatre jours qui avait eu pour mérite de cimenter l’unité des Tunisiens et d’éperonner leur égo patriotique.
Cette crise était avant tout un conflit, à la fois diplomatique et militaire, qui avait opposé, durant l’été 1961, la France et la Tunisie. A l’origine, la décision de l’armée française d’agrandir, au mois de mai de la même année, d’agrandir la piste d’atterrissage de l’aéroport militaire de Sidi Ahmed alors que les présidents Bourguiba et De Gaulle s’étaient entendus, le 27 février 1961, à Rambouillet en France, sur une évacuation pacifique de la base «dans un délai de l’ordre d’une année», d’autant plus que les Français venaient d’expérimenter avec succès leur maîtrise de l’arme dissuasive atomique, au Sahara algérien. Du coup, Bizerte, jusque-là, «un maillon de la chaîne des bases nécessaires à la défense française et à son dispositif atomique, n’avait plus une dimension géostratégique.
Bourguiba s’est vu trahi et a décidé de mettre la pression sur la France sous-estimant, toutefois, la férocité et l’ampleur de la réaction d’une armée française conquérante et hautaine. La suite, on la connaît: les tensions arrivèrent à leur paroxysme et tournèrent à un affrontement militaire de quatre jours (19-22 juillet 1961) sanctionné par un cessez-le-feu et l’engagement de négociations.
Résultat: l’Université québécoise de Sherbrooke évoque 24 morts et une centaine de blessés du côté français, 1.300 morts du côté tunisien et un millier de blessés. Selon un rapport du Croissant rouge tunisien, les trois jours d’hostilité ont causé plus de 5.000 morts. Pour l’historien tunisien Mohamed Lazhar Gharbi, le chiffre le plus vraisemblable est de 4.000 morts. Toujours est-il que nous sommes bien loin des dizaines de milliers que réclament les ennemis de Bourguiba dont malheureusement des historiens encadrés par des nahdhaouis revanchards.
Et pour ne rien oublier, empressons-nous de le dire: par delà ces données historiques, cette petite-grande guerre a eu pour effet géostratégique d’accélérer l’indépendance de l’Algérie et de fixer un échéancier précis pour l’évacuation des bases navales françaises en Afrique du Nord.
Elle a permis à la Tunisie de gagner un précieux temps en récupérant la base navale de Bizerte six ans seulement après son accès à l’indépendance. L’Algérie n’a récupéré sa base navale de Mers el-Kébir que quinze ans après la conclusion des accords d’Evian. Le Sénégal n’a reconquis ses bases navales qu’en 2010.
C’est pour dire au final que cette petite guerre de quatre jours était éminemment géostratégique. Et la géostratégie n’est pas à la portée des pleurnichards qui, en plus, n’ont rien donné au pays.