Impératif de repenser l’entrepreneuriat transméditerranéen après la “Révolution tunisienne“

Par : Tallel

economie-2610201245887.jpgBaisse
des IDE, des revenus touristiques, des transferts de migrants…, l’économie de la
rive Sud subit actuellement de plein fouet le double impact d’une difficile
transition politique et de la crise économique mondiale et européenne qui sévit
depuis 2008. Or, les crises ne sont pas des moments où le temps suspend son vol
en attendant des jours meilleurs, mais au contraire des moments où le jeu des
forces en présence redistribue les cartes pour révéler un nouvel échiquier. En
l’occurrence, le nouveau paradigme des printemps arabes vient percuter un espace
euro-méditerranéen en proie au polycentrisme mondial où l’hypothèse d’une
«Méditerranée sans l’Europe» (Abis, 2010) force le trait du recul européen pour
ne plus en faire l’économie.

Ce sont là les propos de Sylvie Daviet, professeur de géographie à
Aix-Marseille-Université, chercheuse à l’UMR TELEMME (MMSH) et à l’IRMC de
Tunis, rapportés par notre confrère econostrum.info. Dans cet article, la
chercheuse analyse la situation économique dans le Bassin méditerranéen. Elle
estime nécessaire de repenser l’entrepreneuriat euroméditerranéen.

Pour Mme Daviet, “… dans un espace en pleine recomposition et dix-huit mois
après les débuts de l’onde de choc, on ne saurait tirer de conclusions
définitives, mais quelques remarques sont à souligner“. Et d’ajouter : “Le mode
de développement «offshore», qui a prévalu jusqu’à la révolution tunisienne,
doit manifestement être revu. Au Nord comme au Sud, on ne semble plus se fier au
prisme de quelques indicateurs macroéconomiques pour attester de la bonne santé
d’une société. On met désormais à l’honneur des indicateurs plus humains: la RSE,
la société civile, la réduction des inégalités territoriales…, pour attester du
bon sens de l’économie. Mais si les initiatives bienveillantes se multiplient,
c’est encore sans coordination et sans vision d’ensemble“.

Elle poursuit sont analyse en soulignant que “les firmes-réseaux et systèmes
productifs transnationaux (dans un grand nombre de secteurs, du textile à
l’automobile) font aujourd’hui de la Méditerranée une interface, tenant du hub
plus que de l’espace intégré. Les exportations de la rive Sud vers la rive Nord
relèvent plus souvent d’une dynamique d’extraversion promue par les donneurs
d’ordre européens (délocalisation-réimportation) que du développement endogène
du tissu entrepreneurial“.

Ensuite, Sylvie Daviet estime effective “l’internationalisation des entreprises
maghrébines…, mais elle se déploie davantage au sein du Grand Maghreb ou en
direction de l’Afrique subsaharienne“. Et de citer quelques exemples de groupes
maghrébins qui “émergent dans la banque (BMCE, Attijariwafa Bank), l’industrie (Elloumi,
Poulina, Cevital), l’ingénierie (Comete, SCET, Studi), les télécommunications“.
Même si les promoteurs de ces entreprises ont été formés en Europe, leurs
“horizons économiques se diversifient et se tournent majoritairement vers les
marchés arabes et africains, pour au moins trois raisons principales: profiter
des taux de croissance offerts par ces marchés, anticiper le repli européen et
être les pionniers de l’intégration africaine“.

A ce stade de son analyse, la chercheuse conclut que “… le Maghreb tend à mieux
valoriser ses trois sphères d’appartenance (la Méditerranée, le monde arabe et
l’Afrique). Il s’affirme plus volontiers comme un espace-relais entre l’Europe
et l’Afrique où ses entreprises se déploient aujourd’hui“. Et le gagnant dans la
mise en place d’une stratégie de «hub pour l’Afrique», le Royaume chérifien “a
pris une longueur d’avance, grâce à ses infrastructures (Tanger-Med, la Royal
Air Maroc), mais aussi grâce à la nouvelle génération de ses élites économiques
qui en porte la vision“, estime Mme Daviet.

Maintenant concernant l’intégration euroméditerranéenne, la chercheuse affirme
que celle-ci “… s’est considérablement fragilisée, non seulement parce qu’elle
est suspendue aux options politiques des nouveaux dirigeants issus des printemps
arabes, mais aussi parce qu’elle dépend de nouvelles dynamiques économiques qui
tendent à lui échapper et dont on ne saurait nier l’existence“.

Ceci dit, elle demeure convaincue que “… les atouts ne manquent pas pour
remettre la Méditerranée au centre des horizons qui chantent“. La preuve en est
qu’“il existe un tissu social de l’entre deux rives, constituant la matrice d’un
écosystème relationnel dont les binationaux sont le maillon fort; le double
statut étant pour beaucoup la clé de la mobilité professionnelle. Les acteurs
économiques transméditerranéens, dans un contexte de densification croissante de
la mobilité moderne et des réseaux professionnels, contribuent à la création
d’un espace transnational en Méditerranée“.

Et à l’instar de beaucoup d’autres analystes, Mme Daviet pense que
“l’entrepreneuriat transméditerranéen pourrait davantage s’orienter vers le
développement africain (triangulation). Les partenariats entre les entreprises
des deux rives pour aborder les marchés du Sud existent déjà et sont porteurs de
nouvelles complémentarités, car les entreprises maghrébines sont à l’écoute des
pays du Sud, elles y disposent d’avantages comparatifs…“.

Enfin, voici la conclusion de la chercheuse que les chefs d’entreprise tunisiens
devraient lire attentivement et surtout prendre en considération: “Le potentiel
pour faire de la Méditerranée une grande région attractive existe, encore
faut-il penser la Méditerranée comme une grande région du monde, reliant de
vastes continents, et non comme une simple frange littorale, voire un
voisinage“.