A l’heure où les incidents de violences se multiplient et mettent en péril le tourisme tunisien, les opérateurs touristiques tentent de rassurer pour maintenir la destination sur les divers marchés européens. Vu de l’envers du décor, le métier devient de plus en plus délicat dans un contexte économico-politique très difficile. Les acquis sont remis en cause. Entretien.
WMC : Commençons par le bilan de la saison passée puisque c’est là que se fait le plus gros du chiffre d’affaires de l’hôtellerie tunisienne. Quel bilan en faites vous?
Mehdi Allani: La saison est bonne, voire très bonne, et c’est une grande surprise. La saison est absolument vitale puisque c’est là que nous faisons plus des 2/3 de notre chiffre d’affaires. Cette saison s’est faite en «last minute». Donc ceux qui y ont été réactifs et qui n’ont pas paniqués en bradant les prix ont eu un bon remplissage au bon prix. Mais cela est valable depuis quelques années déjà! Ceux qui bradent les prix réduisent le stock disponible, donc, nous arrivons le jour J avec une disponibilité et la réputation de notre structure et on s’en sort relativement.
Si la saison a dépassé ses promesses, elle a aussi pris de cours les hôteliers qui ne s’y étaient pas préparés. Cela n’est d’ailleurs pas sans conséquences sur le service.
Nous évoluons dans un contexte marqué par des incidents tous les 15 jours. Au mois d’avril, nous naviguions à vue, et personne au lendemain des événements du 9 avril ne pouvait prédire l’avenir. Ceci dit, je ne suis pas expert en tourisme, mais suis expert de mon hôtel. Je peux vous assurer que gérer avec les perturbations surtout sur un marché étroitement lié à la France n’est pas une tâche aisée. Il a fallu gérer le fait de passer du presque vide au quasiment plein, et cela au niveau de l’embauche, des stocks, de la maintenance… Il a fallut aussi gérer des pénuries.
Nous avons eu des difficultés de qualité mais que l’on a résorbées. Toute la zone de Hammamet a enregistré une baisse remarquable au niveau de la qualité. Cela s’est confirmé ne serait-ce que par l’outil d’appréciation pour les hôteliers que nous avons sur Tripadvisor!
A part les pénuries, il fallait aussi gérer les prix et la pénurie.
Absolument. Nous avons enregistré des pénuries en lait, en Coca Cola, en bière et j’en passe… L’année dernière, on nous disait que tout partait en Libye au prix fort. Cette année, la surprise a pris de court les industriels qui n’ont pas pu s’adapter aux besoins du marché. Certains de mes fournisseurs me disaient que remplir un camion de marchandises prenait deux heures. Aujourd’hui, cela prend une demi-journée car il faut gérer les revendications sociales, les grèves…
Les mouvements sociaux ne servent-ils pas aussi à assainir le climat?
Je dirais même plus. Avec ces grèves, les hôtels qui n’étaient pas aux normes et qui nous faisaient de la concurrence déloyale se sont et sont encore en train de se mettre au pas et c’est tant mieux! Ceci dit, il y a eu aussi des difficultés en matière des comportements des travailleurs. Diverses formes d’insubordination et d’indiscipline se sont multipliées. Cela est d’autant plus étrange dans un contexte marqué par le chômage.
Il y a aussi beaucoup de pression du côté des tours opérateurs…
Ils sont encore plus demandeurs de promotions et affirment que la Tunisie ne se vend pas. Donc ceux qui n’ont que le prix à vendre se couchent. Ceux qui disent “en dessous de tel prix je ne m’en sors pas“ ont signé leurs contrats avec de petites augmentations. Augmentations qui, à cause du glissement du dinar, les tours opérateurs ne ressentent absolument pas
Au vu de l’actualité de ces dernières semaines, pensez-vous qu’il y a une menace sur le tourisme tunisien?
Je dirais que c’est trop tôt. Je pourrais être alarmiste mais je pense que le danger est ailleurs.
Où précisément? Le tourisme tunisien se reconstruit-il?
Le tourisme a toujours fonctionné avec un petit ministère et les professionnels se sont débrouillés autant que faire se peut. Aujourd’hui, le tourisme tunisien est réduit aux hôtels et agents de voyage. Je ne peux m’empêcher de demander qu’avons-nous fait depuis dix mois? Qu’avons-nous fait depuis la révolution?
Le ministre du Tourisme du gouvernement de la transition démocratique a déclaré que l’étude Roland Berger est la réponse aux problèmes du secteur mais aucune mesure n’a été appliquée pour autant. Est-ce par manque de volonté, de moyens, de pouvoirs? Il faudrait que l’on arrive à savoir pour pouvoir soutenir, agir, aider et protéger le secteur.
Entre temps, on n’en finit pas de reporter «l’Open Sky». Ce n’est certes pas la solution miracle mais cela fera un peu bouger les lignes. Le patrimoine de la Tunisie est énorme et il faut le convertir, l’exploiter, le valoriser, et rentabiliser. Dans tous les pays du monde, on dit “je vais aller à tel endroit“, alors qu’en Tunisie on dit “je vais aller à tel hôtel“. Tant que l’on restera dans cela, nous resterons dans la saisonnalité. Une destination, il faut qu’elle bouge, vive, évolue, séduise…
Elyes Fakhfakh a déclaré récemment que l’endettement plombe le développement du tourisme. Qu’en pensez-vous?
On revient au bout de dix mois pour nous ressortir les mêmes arguments bidon qu’on nous servait avant. Les hôtels ne sont pas le tourisme tunisien. Ce sont des entreprises privées qui font affaire avec des banques privées, et l’Etat n’a pas à intervenir. Intervenir signifie vouloir aider les plus défaillants. Donc cela démotivera les meilleurs et continuera à tirer vers le bas la destination.
Je m’oppose clairement à ce genre de déclaration. Pour moi, c’est un hors sujet! Aujourd’hui, il y a plusieurs questions qui priment: Qu’est-ce qu’on a à offrir à nos clients? Où sont les produits? Où sont les programmes? Où est la culture? Où est l’environnement? Où sont les infrastructures? Où sont la connexion Internet et le GPS pour que le touriste puisse s’orienter à Djerba ou Hammamet?…
Je pourrais continuer à poser des questions à l’infini… C’est cela qu’il faut inventer, encourager, créer, réinventer si on veut sauver le tourisme tunisien.
Une once d’espoir pour finir ?
C’est difficile de trouver surtout au vu de l’actualité. L’épisode du viol a fait la Une des journaux jusqu’en Nouvelle Zélande. Franchement, hormis le fait d’avoir fait une bonne saison, je n’en vois pas.
Nous sommes cependant revenus de loin après l’année 2011 et pouvons nous estimer heureux d’avoir sauvé l’entreprise. Je ne peux m’empêcher de penser au secteur du MICE qui lui est quasiment mort. C’est un secteur délicat qui agonise, et je vous parle en tante que vice-président de TMA, l’Association Tunisienne du MICE.
Dans ce cas, selon vous quelles sont les trois mesures super urgentes à prendre pour sauver votre secteur?
Nous sommes restés sans stratégie de communication bien que l’on se fasse attaquer de partout, à tort ou à raison, mais on ne sait pas réagir aux crises… On se retrouve avec une insécurité galopante, et je ne parle pas de terrorisme je parle de vols, d’insultes, de guerres entre «beznessas», de petits bandits… Nous sommes en train de piétiner le seul produit qui marche tout seul, à savoir le tourisme balnéaire. La saleté est partout. C’est inadmissible. Nous payons toutes les taxes à l’Etat et qu’avons-nous en retour? Un environnement propre et sûr n’est même plus acquis aujourd’hui.