La Banque Centrale de Tunisie (BCT) a décidé récemment, la rationalisation drastique des crédits à la consommation, en vertu d’une circulaire promulguée le 4 Octobre 2012. M. Moez Labidi, expert économique et financier, a indiqué dans un entretien avec la TAP, que cette mesure à cinq principaux objectifs. Tout d’abord, elle vise à « limiter les pressions exercées sur la liquidité bancaire qui obligent la BCT, depuis la révolution, à injecter régulièrement plus que cinq milliards de dinars en moyenne par jour, chaque mois (5,4 milliards de dinars au mois d’octobre 2012), pour répondre aux besoins des banques ». «La condition de déposer à la Banque centrale, 50% de réserves obligataires, non rémunérées, va décourager les banques d’accorder des crédits à la consommation, ce qui limite leurs besoins de refinancement», a-t-il ajouté. Le second objectif est de ” freiner les pressions inflationnistes qui ont porté le taux d’inflation en septembre, à 5,7%”. Cette mesure sert en troisième lieu à “éviter le creusement du déficit courant et le tarissement des réserves de change qui en résulte. Ces dernières sont passées de 147 jours d’importation, fin 2010 à 113 jours, fin 2011 et 94 jours, en octobre 2012. L’autorité monétaire vise à limiter les importations d’appareils électroménagers et de voitures, notamment les plus luxueuses qui occupent une bonne place dans les crédits à la consommation”. Last but not least, cette mesure “pousse les banques à accorder plus de crédits aux entreprises pour soutenir l’effort d’investissement”. Elle vise enfin “à éviter les abus et les dérapages observés à travers le détournement des crédits d’aménagement, vers des crédits à la consommation classiques”.
Effets pervers sur la machine économique
« Si cette mesure a beaucoup d’avantages qui profitent à toute l’économie, il n’en demeure pas loin qu’elle a des effets pervers, affectant la machine économique », a considéré M. Labidi.
« D’abord, cette mesure arrive a un moment inopportun, dans un contexte où la croissance économique est tirée essentiellement, par la consommation, puisque les deux autres moteurs: l’investissement et les exportations, sont presque bloqués. Le premier est plombé par le manque de visibilité politique et le second, par la crise de la dette souveraine qui agite la zone euro », a-t-il expliqué.
Du coup, “un effet négatif sur la croissance n’est pas à exclure, lorsque l’encadrement du crédit touche les prêts destinés à l’aménagement des foyers, les opérations médicales et les séjours hospitaliers…”.
Ensuite, “une telle mesure pourrait alimenter la finance informelle, hors-circuit bancaire, qui pourrait influer sur le secteur bancaire, via le stock de chèques impayés chez les grands magasins de vente de produits électroménagers. Bref un scénario à la BATAM n’est pas à exclure pour certaines grandes surfaces”.
“Le secteur électroménager pourrait être doublement affecté au niveau du volume des ventes qui peuvent enregistrer une baisse, mais aussi, au niveau du mode de paiement des achats, avec le développement du règlement par traites et par chèques, sur plusieurs mensualités.”
L’économiste a estimé que “cette mesure sanctionne surtout la classe moyenne, alors que la classe aisée aura toujours la possibilité d’acquérir des voitures d’une puissance dépassant les 4 chevaux, via le leasing”. “La circulaire sur les crédits à la consommation a ciblé uniquement le secteur bancaire. Or une bonne partie de crédits automobiles, réservés aux professionnels, se concluent avec les sociétés de leasing. Du coup, le dérapage serait très fréquent, comme c’est le cas pour les hommes d’affaires qui achètent, à crédit, de grosses voitures pour leurs proches”. Il a jugé “tout a fait normal que la BCT adopte ce genre de mesures qui peuvent être efficaces uniquement à court terme. La consommation des ménages va certainement, enregistrer une baisse, ce qui pourrait freiner les pressions sur la liquidité bancaire et les réserves en devises. Mais il n’est pas certain qu’une telle directive puisse inverser la courbe de l’inflation et engendrer une dynamique d’investissement».
“D’une part, l’origine de l’inflation n’est pas seulement un problème de demande et d’autre part, le climat des affaires est loin d’être assaini pour stimuler l’investissement”.
L’économiste a relevé que “le problème est plus profond. L’encadrement du crédit n’est qu’une mesure cosmétique pour une économie défigurée en profondeur par une cacophonie institutionnelle (justice, presse, calendrier des élections) qui assombrit l’horizon des investisseurs et grippe les canaux de transmission de la politique économique et empêche le démarrage d’une vraie dynamique de relance, primordiale pour que l’économie tunisienne renoue avec une croissance créatrice d’emplois”.
“Parallèlement à l’encadrement des crédits automobiles, il est temps de porter notre réflexion sur les problèmes structurels. En effet, la Tunisie aura beaucoup à gagner, si elle arrive à instaurer un transport public de qualité, en termes de baisse des importations de voitures (économie de devises) et de consommation d’essence (allègement des subventions des hydrocarbures et recul de la pollution dans les grandes villes)… », a-t-il préconisé.
“Malheureusement, sans une visibilité politique permettant le rétablissement de la confiance et le retour de la croissance, le train des vraies réformes (aménagement du tarritoire, système éducatif, développement régional, fiscalité, système financier…) risque d’être davantage retardé” a conclu M.Labidi.
WMC / TAP