Envers et contre un marché «Bearish» (baissier), la Bourse entonne une Com’ «Bullish» (offensive). Elle a l’ambition de retourner la situation en sa faveur et faire avancer la cause du financement direct et de moderniser le capitalisme tunisien.
La Bourse de Tunis, choisit de tordre le cou à la morosité ambiante et de prendre le taureau (mascotte de la profession)(1) par les cornes. C’est dans cet état d’esprit que l’on situe son initiative d’organiser son propre salon «Investia» des services financiers. Elle se démarquera désormais d’Expofinances, dédié aux services bancaires, dans lequel elle se trouvait bien noyée et à jouer les remplaçants.
Cet affranchissement est un cri du cœur qui va enfin révéler l’identité grandeur nature de cette institution vitale encore sous-utilisée. L’initiative est si opportune que le Salon a obtenu le soutien d’une organisation africaine dédiée à la promotion de ce genre de manifestations.
La Bourse s’expose, enfin, au grand public et s’affiche sur la place. Elle use d’un marketing en mode «Push». S’invitant au débat, elle dit haut et fort son ambition de retourner la situation et de revenir dans la partie. Ce qui est révoltant c’est que, dans un contexte où la croissance est en panne et que le crédit est sous encadrement, les opérateurs continuent de lui tourner le dos alors même qu’elle peut mobiliser une manne abondante et bien faisante.
Elle a tout d’une grande
On peut comprendre la fureur des dirigeants de la Bourse de voir que leur institution ne se soit pas émancipée et ait gardé un statut mineur de Bourse pour petits porteurs. Il est vrai qu’elle a servi à démocratiser l’actionnariat en attirant un volant d’épargnants. Mais son rôle dans le financement de l’économie demeure résiduel. Elle serait retombée à 5% alors qu’elle peut apporter un meilleur soutien se situant à 20% de l’investissement global.
Nous n’avons pas n’importe quelle Bourse. Rappelons que la Bourse de Tunis a joué un rôle pionnier dans l’introduction de la cotation électronique en continu et de la dématérialisation, sur le continent africain et dans le monde arabe. Vous avez bien lu! Elle a pris le pari de s’équiper du logiciel super Cac qui tourne sur le pool Euronext soit Paris, Amsterdam et Bruxelles. Elle a créé le pool des Bourses arabes.
Son expérience de conversion technologique et réglementaire a servi de référentiel pour toutes les places lesquelles, après l’avoir copiée, ont fini par la dépasser. Trop c’est trop, c’est injuste. Notre capitalisation est à la traîne, pour un PER estimé à 15,8. Le fonds de garantie des intermédiaires en Bourse est si bien garni qu’il peut faire face au défaut de n’importe quel intermédiaire. C’est techniquement au point, financièrement sécurisé; et au plan de la valeur, elle délivre de la performance. Il faut donc faire «sauter la banque» comme disent les flambeurs! On ne comprend pas que la Bourse soit si mal aimée.
La volonté politique, le point de levier déterminant
Comme en tout, quand il s’agit de faire un saut de palier en matière de refondation économique et financière, le signal fort doit venir de l’Etat. La Bourse, pour conquérir ses lettres de noblesse, doit bénéficier d’un geste de bonne volonté des pouvoirs publics. Une salve d’introduction d’entreprises privées dans le cadre soit d’une ouverture du capital ou d’une privatisation donnerait le ton.
Les groupes tunisiens, nous les avons connus à travers de nombreuses expériences de classement annuel, jouent le jeu de la transparence. Qu’auront-ils à perdre à solliciter la Bourse. Des voix de-ci de-là disent que ces groupes se sucrent sur le dos des banques sur lesquelles ils pèsent du fait de leurs engagements immobilisés.
Il y a une petite part de vérité mais dans leur quasi majorité, ces groupes ont été salués de la manière la plus spectaculaire qui soit. Des OPV ont été souscrites au multiple du multiple de ce qu’on pouvait imaginer. Les taux de valorisation ont été de dix et plus! Pourquoi le capitalisme tunisien refuse-t-il ce bain de jouvence? Selon les dirigeants de la Bourse, cette phobie serait définitivement levée si deux éléments étaient réunis. Le premier est celui du relèvement du plafond de participation des investisseurs étrangers, bloqués actuellement à 49%. Rien ne plaide en faveur de cet argument. Les fonds d’investissements étrangers sont venus quand nos PER étaient sous-valorisés. Dès qu’ils ont réalisé un certain objectif de performance, ils se sont repliés sans demander l’avis de personne. Que nous a rapporté de privatiser les cimenteries?
La deuxième condition est l’introduction des entreprises publiques, et là, c’est bien vu. Nous y souscrivons. D’un, cela fera revenir l’épargne thésaurisée vers le financement de l’économie. Et c’est le cercle vertueux qui est constamment défendu par Fadhel Abdelkéfi, président de la Bourse. De deux, il est temps que le capitalisme public soulage les banques et conforte le financement direct. C’est plus sain pour l’économie et pour les entreprises.
En invitant le chef du gouvernement, les dirigeants de la Bourse ont réussi une coup tactique, en le poussant à prendre un engagement public.
Les acteurs du secteur espèrent qu’Investia I sera le lever de rideau sur l’émancipation de la Bourse.